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Critiques de livres


Karel LOGIST
J'arrive à la mer
La Différence
coll. Clepsydre
2003
143 p.

Logist l'insaisissable

La première phrase qui vient à l'esprit du lecteur au moment de fermer J'ar­rive à la mer, le dernier recueil de Karel Logist, est : « Voilà un poète ! » On le savait, du reste, avant de commencer la lec­ture : Logist en est déjà à son septième re­cueil et s'il a aussi publié un roman (Dés d'enfance chez Luce Wilquin), non seule­ment c'était sous pseudonyme (Gilles Korta), mais surtout la poésie s'y cachait difficilement dessous la prose. « Voilà un poète !» : le constat s'impose de lui-même tant la poésie semble ici aller de soi, qu'elle prenne la direction de la mer ou, comme dans le dernier texte, de la ville. Mais c'est aussi par défaut que le lecteur s'exclame ainsi : Logist est un poète, mais encore ? Décrire sa poésie n'est pas chose aisée, car il n'a de cesse de varier le ton, les sujets, la technique de ses textes. Comme s'il voulait en un recueil contenir tout le poétique et explorer le Parnasse contempo­rain de fond en comble. Tentons l'inventaire de ce livre protéiforme. Il est composé de six parties qui sont autant de petits recueils cohérents. La quatrième et la cinquième forment les ensembles les plus homogènes, celle-ci parce que chaque poème commence par la même phrase matrice, le « J'arrive à la mer » du titre, celle-là grâce à un groupe de personnages récurrents, les drolatiques « poètes tactac ». La dernière par­tie se distingue des précédentes par l'usage de la prose (ailleurs règne le vers libre) et « Re­tours », la troisième, trouve son unité dans le thème de l'enfance (à noter que les poèmes qui la composent sont déjà parus en un petit livre à l'Acanthe en 2001 sous le même titre). Quant aux deux sections initiales, elles sont par elles-mêmes assez variées.

Le ton oscille entre l'ironie (ou l'autodérision) et le lyrisme (ou la nostalgie), comme en témoignent ces deux courts poèmes de structure proche : « J'arrive à la mer / j'achète un poulet rôti / il me reconnaît / ça me coupe l'appétit » et « J'arrive à la mer / Je fais de courtes promenades / la dune entre par mes sandales / et l'éternité par mes yeux. » Des sujets très différents sont exploi­tés : ils sont parfois majeurs (la poésie, l'amour, la mort, la nature, la ville, la soli­tude, l'enfance...), parfois prosaïques (les sectes, l'actualité médiatique, le contentieux entre les Flamands et les francophones...), parfois tout à fait absurdes (« Comme son nom l'indique, le pèse-personne ne pèse rien ni personne »...). Les uns et les autres sont abordés soit de façon assez directe (voire de manière crue), soit à travers un halo poé­tique. Enfin, le style varie lui aussi : là Karel Logist opte pour de petites phrases courtes et blanches, là pour de longues périodes ro­boratives construites sur des répétitions. Pourtant, s'il est protéiforme, ce recueil n'est pas disparate. Que le sujet soit grave ou pu­rement ludique, partout l'on retrouve une fraîche attention au langage, qui se traduit par de nombreuses formules pleines d'imagi­nation, telles que « ces quelques fines rides / qui tirent tes yeux vers demain », « j'ai / des fins de siècle difficiles », « le plancher des vagues », « je ris avec les loups »... Quand elle s'allie avec l'ironie, cette force imaginative rappelle le Michaux de Plume : Karel Logist s'en rend très bien compte, puisque l'une des dernières pages contient un récit de rêve dans lequel apparaît l'auteur d'Un bar­bare en Asie... Celui-ci n'est pas le seul, d'ailleurs, à être cité : le texte qui suit ra­conte l'entrée en poésie de Karel Logist, son émotion en découvrant, dans le Panorama de la poésie française de Belgique, Neuhuys, Périer, Purnal, Izoard, Cliff et Moreau. Après quoi, il évoque le soutien enthousiaste que lui apporta à ses débuts Liliane Wouters (qui n'est pas nommée mais que l'on reconnaît aisément). Ceci nous mène à deux constata­tions. D'abord, la variété de la poésie de Karel Logist correspond à la diversité de ses goûts littéraires. Ensuite, il s'inscrit exclusi­vement dans une filiation poétique commu­nautaire. Existerait-il un champ autonome de la poésie belge francophone ? L'hypothèse ne paraît pas absurde tant les liens sont étroits entre nombre de nos poètes. Ce n'est certes pas Karel Logist qui nous contredirait, car il rend ce qu'il a reçu en soutenant de très jeunes poètes comme Thibaut Binard (né en 1980) et Raphaël Miccoli (né en 1983), publiés dans le dernier numéro de la revue Le Fram qu'il dirige avec Serge Delaive, Cari Norac et Carino Bucciarelli.

Laurent Demoulin