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Critiques de livres


Dominique COSTERMANS
Je ne sais pas dire non
éd. Luce Wilquin
2004
130 p.

Dites oui

Voilà une petite fille qui voudrait bien être un ange et qui va être le petit Jésus portant la croix en tête d'une procession qui s'étire pen­dant des heures au rythme d'une mar­che tantôt lente, tantôt rapide. La croix est lourde, elle la porte alternativement de la main gauche puis de la main droite puis... La petite fille reste digne mais elle a soif, elle a mal aux pieds, elle est fatiguée. Accablée par sa voix inté­rieure, elle vit l'épreuve en rémission de son péché de ce matin : n'avoir pas mangé les croûtes de ses tartines. Voilà des retrouvailles avec la grande amie d'il y a 20 ans. On voudrait faire comme si on l'avait quittée la veille, comme si on allait rappeler le lende­main, passer quand on veut... Mainte­nant, on ne se lâche plus ! Mais tout cela sonne faux et on fait semblant avant de repartir définitivement. D'ail­leurs, on n'aime pas sa maison à quatre façades.

Voilà un concert où l'on croise un an­cien amant avec sa nouvelle fiancée. La séparation a laissé intacte chez chacun la passion pour ce groupe de musiciens. C'est comme si grandir était doulou­reux.

Comment regarde-t-on son père quand on a été privée d'enfance parce qu'il était collaborateur ? Comment le re­garde-t-on quand on a la même couleur d'yeux que sa mère qui n'est jamais re­venue des camps ?

Quand on a eu un père mythomane et plein d'énergie, passe-t-on le reste de sa vie à vérifier qu'il disait la vérité ou à penser qu'il était un menteur ? N'est-ce pas le même souvenir, la même blessure, infligée puis reçue, d'avoir dédaigné ce premier amoureux qui avait osé glisser un mot dans la boîte aux lettres quand on n'avait d'yeux que pour le petit caïd qui méprisait les filles ?

Et ce collègue qu'on appelle « l'acces­soire de bureau » : il est moche, il est poli, il est serviable, il fait bien son boulot. Si ça se trouve, il vit toujours chez ses parents et il a l'air content. Pire, on dirait même qu'il est heureux et c'est tous les jours pareil, ça énerve... J'en reste là de mon interprétation plus que de mes improbables résumés de cette suite de nouvelles. Je laisse aussi découvrir celles que je ne mentionne pas et ce lien que l'auteure place parfois et qui rapproche certaines d'entre elles dans une coïncidence qui rappelle seule­ment que notre monde est petit. Car ce n'est pas dans des aventures extraordi­naires que Dominique Costermans nous entraîne : elle reste cadrée sur nos comportements d'Occidentaux du début du XXIe siècle. Sans amertume, Costermans adopte un ton allusif qui permet à chacun de se reconnaître et un style extraverti qui rend le décor enjoué. Elle est émouvante et drôle avec d'au­tant plus de tact qu'elle ne résiste pas au plaisir de faire mouche. Et si elle dé­busque la gravité de la vie sous la légè­reté des situations, elle considère l'une et l'autre avec le même bonheur. C'est une grâce d'allier ainsi l'indulgence et la lucidité. Il faut lire Dominique Costermans.

Jack Keguenne