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Critiques de livres

Armel Job
La Reine des Spagnes
Bruxelles
Éd. Memor Couleurs
2006
93 p.

Quelque part en Wallonie, une reine
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 146

Vous ne trouverez probablement pas sur une carte, fût-elle d'état-major, ce village wallon des Spagnes, et pourtant, il se peut que vous le reconnaissiez. Parce qu'on vous a en a déjà parlé, parce que votre grand-mère y a fini ses jours, parce que vous y avez passé une semaine autrefois ou, tout simplement, parce qu'il vous arrive d'en rêver. Si vous ne le parlez pas, si vous ne le comprenez plus, vous avez quelques notions de wallon, de «cette vieille langue si polie, où l'on se vouvoie entre intimes», comme le rappelle Armel Job dans La Reine des Spagnes, court et délicieux récit, paru en 1995 chez L'Harmattan, réédité aujourd'hui en format de poche. Cette langue qu'il définit très joliment, en français toutefois et en grammairien, «avec ses sons coulés, ses élisions savantes, ses flexions complexes qui en font voir de toutes les couleurs aux mots», cette langue enfin, dans laquelle «La chèvre de Monsieur Seguin» serait bien plus savoureuse. Vous avez aussi la nostalgie des histoires, pas tout à fait vraies, pas tout à fait fausses, de celles qui sont drôles tout en étant tristes, avec enfants de préférence, laitière et pot au lait, roulades dans le foin et riche déchue ou vieille macmiche pas méchante. Vous trouverez tout cela dans le roman : une fantaisie qui tient à s'enraciner dans le réel; un récit d'enfance sans amertume et sans concession. Des paysages très familiers à qui se promène dans son pays, des événements marquants dans l'histoire récente – guerre, catastrophes, migrations, mort, pratiques villageoises, superstitions…

La dent dure contre certaines prérogatives, contre les injustices sociales, contre le ridicule aussi. Une maison de village, une ferme désaffectée vendue pour quelque usage inutile à «un bourgeois de Liège, ou pire encore, de Bruxelles». Lequel ne fera probablement «rien de ses dix doigts», tandis que le paysan pouvait bien «voir les sept croix» pour nouer les deux bouts, sans autre solution que de se «faire signer», car c'était là la médecine du pauvre. Nulle tragédie cependant, dans ce tableau, on y sourit beaucoup, on va jusqu'à rire un peu gras, quand on châtre les petits verrats et que les enfants écrasent les testicules qui jonchent la cour. Mais surtout on s'attendrit grâce à cette légèreté dans le ton qui permet de jouer même avec le malheur. Et de se réjouir avec cette «bonne élève, condamnée aux études», dont le narrateur souligne avec fierté qu'elle deviendra institutrice.