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Critiques de livres

Armel Job
Les mystères de sainte Freya
Paris
R. Laffont
2007
288 p.

«Un être humain parmi les autres»
par Amélie Schmitz
Le Carnet et les Instants n° 148

Sainte Freya, morte en 1975, n'est canonisée que depuis quelques mois lorsque l'évêque Van Camp reçoit un premier courriel qui la dénonce comme tout sauf sainte; une «salope», met en majuscules le corbeau (corax en latin), faute de pouvoir le crier.

C'est un vrai divertissement que nous offre Armel Job avec ce nouveau livre plein de rebondissements et de suspens. Il parvient d'ailleurs à laisser une place de choix à la distance critique et l'ironie qui donnent à son humour une saveur particulièrement décapante. L'on retrouve donc dans ce nouveau roman cette alliance d'une intrigue corsée, d'un humour corrosif et d'une description fine et attentive des travers humains, qui était également présente et tout aussi aboutie dans Baigneuse nue sur un rocher (2001) et Les fausses innocences (2005). Pour Les mystères de sainte Freya, on sent avec acuité la jubilation éprouvée par l'auteur à l'écrire.

Ce roman consiste en un récit trépidant des mésaventures qui mèneront à dévoiler l'identité du corax et, «idéalement», le mettre hors d'état de nuire. L'évêque Van Camp, complètement dépassé, fait appel à l'abbé Turquin, un membre éminent de l'Opus Dei. Malgré la distance idéologique qui les sépare — l'abbé Turquin n'a guère apprécié de contempler, dans une émission télévisuelle, l'abondante pilosité rousse du prélat en maillot de corps filmé en train de peiner sur son vélo d'appartement —, l'abbé accepte d'apporter son aide et fait lui-même appel à un surnuméraire («laïc marié au service de l'Opus»), Martin

Rabe, le père d'une petite fille atteinte du cancer, prêt à tout pour rentrer dans les bonnes grâces de la sainte, prêt à espérer un miracle… Informaticien, il trouve la trace du corax malgré la campagne de séduction que la belle Marie- Jeanne aux jambes interminables, la secrétaire de l'évêque, inflige à ce catholique convaincu.

L'affaire se corse quand il s'avère que le corax ne cherche pas l'argent mais adresse une demande qui fait tomber les deux ecclésiastiques de leurs nues : il exige que l'Église renonce à la doctrine de la virginité de la mère du Christ, faute de quoi «la vie tumultueuse de sainte Freya (fera) la une des journaux».

Dans ce roman, on retrouve la causticité d'Armel Job pour dépeindre l'Église d'aujourd'hui et les hommes qui la composent, bien loin des idéaux de pureté et de chasteté qu'ils affichent vis-à-vis de leurs ouailles, bien loin d'être insensibles aux tentations de la chair… Ainsi, la première phrase du roman ne manque pas de l'ironie «canaille» qu'on connaît à l'auteur : «Ah mon Dieu! Quelle jouissance d'être évêque!»

Autre clin d'œil? Lorsque l'évêque se rend à Rome et voit le Pape, celui-ci lui murmure qu'il a beaucoup apprécié son article sur l'immaculée conception. Étonné, l'évêque ne parvient qu'à se souvenir d'un obscur article où il avait traité le sujet de façon assez latérale il y a de ça des années. Les lecteurs attentifs pourraient conclure que le Pape confond peut-être Van Camp avec l'abbé Duchevet, un des protagonistes de Baigneuse nue sur un rocher (2001), fervent défenseur de la représentation de la femme dans toute sa naturelle et voluptueuse beauté.

L'intrigue garde un rythme palpitant grâce à l'entremêlement des chapitres propres à l'enquête et d'autres, véritables retours dans le passé, révélateurs de la vie de sainte Freya. Les passages d'une époque à l'autre fonctionnent de manière particulièrement fluide car ils sont complémentaires en termes d'éclaircissements et poursuivent le chemin naturel des pensées et des questions du lecteur. Ces aperçus de la vie de la sainte, qui se révèle peu à peu pleinement femme et d'une bonté bien plus riche que celles des icônes, contrastent par ailleurs avec la rigidité des comportements des deux ecclésiastiques. Terminons sur cet extrait où Armel Job déploie son talent dans un style délié, classique au sens le plus agréable du terme : «Je voudrais que tu saches que je ne renie en rien ce que nous avons vécu. Je n'ai pas de honte. Je n'ai pas de remords. Sans toi, ma vie n'aurait été que la froide exécution du plan que j'avais conçu dans ma jeunesse d'accomplir une vie parfaite, sans faille, sans compromission, pure comme un diamant. […] J'ai été une femme, un être humain parmi les autres, moi qui voulais être au-dessus des autres.»