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Critiques de livres


Philippe LEEMANS
Johnny klaxonne toujours trois fois
Librairie « La Dérive »
1995
234 p.

Noir dessin

Il est des genres littéraires considérés comme « mineurs » par bon nombre de personnes. On ne reviendra pas sur le bien-fondé de la distinction entre paralittérature et littérature tout court. Laissons ce propos aux spécialistes qui en débattent avec plus ou moins de bonheur et de conviction. Néanmoins, il n'est peut-être pas superflu de rappeler que, tout comme il est bien dif­ficile de faire rire un public, que ce soit au théâtre ou, dans une moindre mesure, au ci­néma (étant donné les moyens mis en jeu), il est aussi périlleux de tenter de susciter l'angoisse chez le lecteur. N'est pas auteur de thriller qui veut, et pour un Lieberman, bien des romanciers qui s'essaient à ce type de roman à suspense parviennent à peine à éveiller quelques frissons. Aussi la démarche de Philippe Leemans, avec Johnny klaxonne toujours trois fois, semble-t-elle relever du défi (encore qu'il ne soit pas sûr que telle fut son intention).  Toujours est-il que son roman nous plonge directement dans un univers glauque, violent, où petits et grands malfrats, désaxés, paumés et aigris tiennent le haut du pavé. D'entrée de jeu, le ton est donné, sans ambages : la pluie, une table sale, un journal froissé et « sur le journal, deux mains. Tranchées à la hauteur du poi­gnet ». La suite ne démentira pas l'atmo­sphère de cette mise en scène initiale. Car mise en scène il y a. Comme le souligne le préfacier, Pierre Germay, c'est au cinéma que l'on songe immédiatement à la lecture de ce roman : articulation du récit en une suite de plans-séquences regroupés dans des ensembles que chapeaute une sorte de claquette (lieu, date, heure), dialogues nerveux, descriptions succinctes mais forte suggestion visuelle par le recours à la diversité des éclairages, musique de fond (Johnny, Eddy ou l'opéra), décor urbain, voitures la nuit, poli­ciers en faction... Et indéniablement, l'au­teur réussit à maintenir un climat d'an­goisse, un sentiment d'attente anxieuse qui ne s'émousse que légèrement au fil du récit pour rebondir en un final déconcertant. C'est que le rythme est bien -soutenu, les di­vers personnages entrant tour à tour en scène pour relancer une intrigue qui les entrecroise habilement. Rapidité et concision sont ainsi les principales qualités de la narra­tion. Appliquées à une thématique d'une violence peu commune — on trouve même deux gamines d'un sadisme inouï — ces qualités empêchent le roman de tourner à la caricature facile d'une société en déréliction. Si le trait est volontairement appuyé, il tient plus d'un croquis qui ne reprendrait que les lignes dominantes, rejetant tout détail inu­tile, que de l'inflation de signifiant. On saura donc gré à Philippe Leemans d'avoir ciselé ce thriller avec doigté et à son éditeur, la librairie « La Dérive » à Verviers, d'avoir soutenu ce pari.

Dominique Crahay