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Critiques de livres


Isabelle Kerstenne
De l'autre côté des vagues
Avin
Éd. Luce Wilquin
2005
118 p.

Chemins du coeur
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 141

«Trouver le bonheur dans le peu, dans l'infime, dans l'impalpable, dans ce presque rien qui se révèle si grand quand on y prête son coeur.»

Cette leçon de vie que reçoit Leila durant sa longue marche vers le pays de sa mère, à la rencontre de ses racines et d'elle-même, pourrait être une passerelle entre ce premier roman d'Isabelle Kerstenne, De l'autre côté des vagues, et le recueil de nouvelles de Myriam Rosman, Il s'est rien passé aujourd'hui, parus simultanément chez Luce Wilquin.

À première vue pourtant, ni les thèmes, ni les couleurs, ni l'écriture de ces deux livres ne semblent proches. Mais, chacun à sa manière, ils exaltent ce «presque rien» qui dévoile, à qui sait prendre le temps de le débusquer, de l'apprivoiser, des richesses insoupçonnées.

L'héroïne d'Isabelle Kerstenne se met en route, un beau matin, vers sa part d'Orient, la moitié de ses racines qu'elle a cachée, refoulée, à mesure qu'en grandissant elle se voulait «d'ici et seulement d'ici». Apparemment heureuse entre un compagnon aimant, leurs fils, sa maison, son travail, mais, à l'insu de tous, «de plus en plus traversée de courants et de souffles, d'éboulements et de chutes».


Myriam Rosman
Il s'est rien passé aujourd'hui
Avin
Éd. Luce Wilquin
2005
102 p.

En l'espace d'un an, Leila a vu mourir son père qu'elle adorait, puis sa mère, «l'étrangère venue d'un pays différent». Double séisme, qui bouleverse l'ordre du monde. Cette mère mal aimée, obscurément trahie, mais dont la mort l'anéantit, n'a pas eu le temps de retourner une dernière fois sur sa terre natale, comme elle en rêvait. Ce voyage, ce retour aux sources, Leila l'accomplira pour elle.

Il ne s'agit pas d'une rupture, d'une fuite, mais du besoin, longtemps enfoui, de reconnaître et de réconcilier deux héritages. De retisser la trame de sa propre histoire pour renaître à soi-même.

Au fil des mois, de milliers de pas, de rencontres (un peu trop) providentielles, Leila apprend à dénouer angoisses et tensions, à se sentir en communion avec la terre, l'arbre, l'oiseau, à laisser couler le temps, à regarder en face les ombres, les failles de sa vie.

Ce premier roman, qui tient du conte philosophique, écrit dans une langue musicale et imagée, séduit souvent. Agace parfois. Par ce choix de Leila de ne s'occuper que d'elle-même, entièrement vouée à son pèlerinage, étrangement dégagée des tendresses et des responsabilités de son foyer, désormais étrangère au cadre naguère familier, qu'elle résume, de manière simpliste, à «un monde fait de briques et de plastique, de fleurs artificielles et d'ordinateurs, de mensonges consentis et de rapports codifiés», où les murs de béton «paralysent le rêve».

Pour renouer avec sa part d'Orient, faut-il absolument flétrir, renier sa part d'Occident? Ne lui en déplaise, on peut, dans nos villes aussi, suspendre la course du temps, contempler le ciel et les nuages, aimer passionnément un arbre, rêver en toute liberté, s'imprégner de silence, se dépouiller de l'accessoire et atteindre l'essentiel...

Autre ton, autre rythme avec Il s'est rien passé aujourd'hui, mais une sensibilité pareillement attentive aux instants d'émotion, de vérité.

En une quinzaine de nouvelles très courtes, Myriam Rosman suggère des mouvements du coeur, croque des scènes fugitives, saisit des dialogues et des non-dits. Tout – et presque rien – se joue, se noue ou se défait, comme à la dérobée.

Ilse se promet de parler, de crier, pour déchirer la trompeuse douceur, la fausse harmonie d'une réunion familiale, les mots l'étouffent, mais on se sépare sans qu'elle ait rien dit. (La prochaine fois)

Une femme qui s'est retranchée du monde, lorsqu'elle perçoit, après des saisons de silence, le «léger bruit velours» d'une enveloppe tombant sur les dalles du couloir, la jette sans l'avoir ouverte. (Il s'est rien passé aujourd'hui)

Deux soeurs merveilleusement complices voudraient garder intacte la magie des jeux et des rites de l'enfance qui déjà s'enfuit. (Dans la maison de l'enfance)

La malade, que tous – à l'exception d'un seul – entourent de leur affection vigilante, l'adjurant d'espérer, de lutter, le jour où elle sait que le combat est devenu inutile, voit la porte s'ouvrir enfin sur celui qui ne venait pas. «Il ne dit rien, elle ne peut plus rien dire. Alors, il pose sa main sur la sienne, si légère, et le temps s'arrête dans la tiédeur de cette main posée telle un souffle, la feuille qu'une brise furtive emportera, et elle se retient de respirer pour ne pas être cette brise coupable.» (Quand j'irai mieux)

La solitude a mille visages. Myriam Rosman nous en confie quelques-uns, sur la pointe des mots – et du coeur.