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Critiques de livres


Ghislain COTTON
Korpanoff
Editions L'Age d'Homme
Lausanne
1999
165 p.

Un tigre de papier, histoire exotique

« Le malheur veut que chez nous, même si on lit mal, on le fait avec tant de conscience que cela donne des articles tristement consciencieux » : Cla­risse Bolot, le « dinosaure des lettres belges » n'a pas la dent tendre avec la critique de son petit pays... Son personnage d'écrivaine in­supportable — improbable association de traits d'une Marguerite Yourcenar avec ceux d'une Agatha Christie, un zeste d'Amélie agrémenté d'un soupçon de Duras —, qui accepte enfin à 81 ans d'entrer à l'Académie, permet à Ghislain Cotton, journaliste, chro­niqueur au Vif/L'Express de fourbir mali­cieusement les armes contre toute approche consciencieuse — et donc triste — de son troisième roman. Et la tristesse ne convien­drait pas du tout au ton de ce roman, mi-épistolaire, mi-suspense, truffé de person­nages savoureux, de chats surnommés Spaak (comme Pol-Henri) et d'un patron-amou­reux appelé Schubert qui signe ses éditos « La Truite ».

L'héroïne, c'est Severa Carlsen, une jeune diplômée en histoire de l'art, qui n'envisage cependant ni d'enseigner ni de cornaquer des cars de japonais devant les gares de Delvaux. Après un passage furtif comme rédactrice-coordinatrice de la célèbre revue Paraphe (quelques pages hebdomadaires gorgées soi­gneusement de vitriol) qui se termine par une déception amoureuse, elle se retrouve, Louise Brooks dans le rôle du Scribe ac­croupi, aux côtés de Clarisse Bolot, à sup­porter trois tyrans : une femme de lettres, un téléphone et un ordinateur. Mais son horizon ne s'arrête pas, dieu merci, au gou­lot de l'avenue Louise. Sa rencontre avec Jean Grouse, un jeune homme fantasque nanti d'yeux bleus aux transparences quasi minérales, l'emmène dans une aventure aussi déconcertante que le Songe d'une nuit d'été qui leur sert de signe de ralliement. L'aventurier éblouit la belle, le temps d'une fête trop brève : incarcéré pour une sombre histoire de vol d'œuvre d'art, il s'enfuit, dès sa libération, au bout du monde. Les princes charmants ne sont plus ce qu'ils étaient.

Une épaisse enveloppe bleue affranchie en roupies maldives relance l'action aux alen­tours de Noël. De jolis échanges épistolaires vont entretenir la flamme et les poussières d'étoiles. Devenu Nicolas Korpanoff, l'aven­turier au grand cœur a le don d'écrire des missives troublantes. La charmante enfant succombe donc aux sortilèges et court à Bombay pour voir si le loup n'y est pas... C'est un suspense, on ne raconte donc pas l'histoire, consciencieusement. C'est plein d'humour, de tours, de détours, de citations, de mélanges ludiques d'écritures (les des­criptions insulaires de Korpa, les dialogues grecs de Bolot, les lettres de midinette, les tirades fleuries empreintes d'une philosophie tout orientale de Rashi, les formules des cri­tiques...), de dei ex machina, de portraits au couteau et, probablement, d'allusions aux milieux culturels et journalistiques bruxel­lois dont, depuis ma province, je ne perçois pas, hélas, toute la saveur...

Nicole Widart