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Critiques de livres


Julien DOHET et Jérôme JAMIN
La Belgique de Jacques Yerna
entretiens avec Jacques Yerna
Bruxelles
Labor
coll. la Noria
2003
173 p.

La Belgique d'un homme intègre

Deux jeunes chercheurs issus de l'Université de Liège viennent de publier aux éditions Labor, en étroite collaboration avec l'Institut d'histoire ouvrière économique et sociale, un ouvrage reprenant une série d'entretiens avec le syn­dicaliste et grand militant Jacques Yerna. Julien Dohet est licencié en Histoire et atta­ché scientifique à l'Institut précité. Son co­auteur Jérôme Jamin est lui doctorant en sciences politiques et chercheur au Centre d'études de l'ethnicité et des migrations de l'ULG. Chargés d'un dossier sur l'histoire politique et sociale de Liège, ils rencontrent lors de leurs recherches celui « dont la vie et la carrière allaient progressivement devenir à nos yeux inséparables de l'histoire de la Wallonie et de la Belgique ». Ils réaliseront alors une longue série d'entretiens, qu'ils présentent aujourd'hui dans cet ouvrage, auxquels ils attribuent deux objectifs : « par­courir la vie d'une personnalité originale et ce faisant raconter une certaine histoire de la Belgique ».

Ce livre, vivant et rigoureux, n'est pas neutre : l'histoire politique, sociale, syndi­cale, et économique du pays y est vue à tra­vers la subjectivité d'un de ses acteurs, dont la fermeté des convictions progressistes et la force de l'analyse politique s'expriment avec autant de détermination que de modestie. Né en 1923 et licencié en sciences écono­miques de l'Université de Liège en 1947, mi­litant syndical au sein de la FGTB dont il deviendra secrétaire pour la régionale Liège-Huy-Waremme jusqu'à sa retraite en 1988, proche collaborateur d'André Renard, édi­teur responsable du journal La Gauche, mili­tant du Mouvement Populaire Wallon dont il sera le dernier président, professeur d'économie politique à l'Institut d'Etudes Sociales (Isis)... Jacques Yerna est un témoin et un acteur de choix de la vie politique et mili­tante belge depuis plus de cinquante ans. Nous évoluons donc, au gré de ses souve­nirs et de ses analyses au travers de thèmes déterminants de notre histoire : l'entre-deux guerres, la montée du fascisme et de l'antisémitisme, la deuxième guerre mon­diale, la question royale, le renardisme, la guerre froide, les débuts des principaux mouvements sociaux et politiques, le syndi­calisme, la décolonisation, le rôle des partis et des piliers institutionnels, l'avenir de la démocratie belge, la réforme de l'Etat, les conflits entre Flamands et Wallons... Les entretiens sont divisés en sept chapitres, ponctués chacun d'une bibliographie per­mettant à qui le souhaiterait de s'informer d'avantage sur les questions abordées, com­plétée en fin d'ouvrage par un aperçu des archives et des écrits de J. Yerna. Outre une somme d'informations importante, ce livre nous dévoile également des prises de position d'un homme qui sera resté tout au long de sa vie et de sa carrière sans conces­sions. Travaillant sans relâche au rassemble­ment des progressistes, au-delà des clivages de toutes sortes, il sera surnommé par certains « l'enfant terrible ». Qualificatif qu'il ne reniera pas : « J'ai toujours été au confluent de divers mouvements et même si cela a été ma grande chance, ça n'a pas toujours plu à tout le monde. Cette position explique également pourquoi je n'ai jamais dépassé le poste de se­crétaire de la régionale de Liège. Je n'ai jamais envisagé d'aller plus haut dans la hiérarchie mais on ne me l'a jamais proposé non plus. » Fidèle aux principes du renardisme, dont celui de l'indépendance syndicale à l'égard des partis politiques, il refusera, même à la retraite, tout mandat politique ou tout poste au sein du conseil d'adminstration d'une entreprise.

La fin de sa carrière professionnelle lui per­mettra par contre de se rapprocher davan­tage encore des mouvements associatifs : il sera président des Amitiés belgo-palestiniennes, président du Rassemblement lié­geois pour la Paix et militera notamment au sein d'Attac et du Collectif de résistance aux centres pour Etrangers (CRACPE). Jacques Yerna est décédé au milieu de ce mois d'août. Jusqu'au dernier moment, on l'a vu tous les samedis manifester devant le centre fermé de Vottem avec les sympathi­sants du CRACPE. Quelques semaines avant sa disparition, il témoignait en correc­tionnelle en faveur des militants du Collectif contre les Expulsions prévenus de « rébellion armée ». Jacques Yerna n'a pas vraiment dis­paru en mourant. Il restera de ces hommes dont la vie est un enseignement pour tous.

 Laurence Vanpaeschen