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Critiques de livres


Xavier MABILLE
La Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale
CRISP
novembre
2003
309 p.

Belges, si vous saviez...

Il n'est pas possible de penser sans re­pères. Le déficit de connaissances, maintes fois constaté au sein des jeunes générations, s'avère d'autant plus regret­table que le discours officiel ambiant — mû de louables intentions — entend dévelop­per chez elles le sens civique. Or, comment est-il possible d'agir en citoyens si l'on ne partage pas un minimum de références communes et si l'on reste dans l'ignorance d'un passé plus ou moins proche ? Surtout dans un pays aussi complexe que la Bel­gique. L'ouvrage La Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale, publié par le Centre de re­cherche et d'information socio-politiques (CRISP) sous la signature de Xavier Mabille, a tout pour combler cette lacune. Voilà en effet une œuvre à la démarche pé­dagogique rigoureuse, un tantinet austère, qui retrace avec une rare clarté près de soixante ans de l'évolution d'un Etat et de sa société dont le moins qu'on puisse dire est que l'un et l'autre n'ont pas été épargnés d'effervescences ou mutations diverses. L'ensemble se déploie, en un peu plus de trois cents pages, selon un découpage chro­nologique s'articulant autour de quelques dates-pivots de l'après-guerre. Ce qui amè­ne une structuration en quatre grandes par­ties : « La Belgique unitaire restaurée » (de la Libération en 1944 à la décolonisation du Congo en I960) ; « La fin de la Belgique unitaire » (de la grande grève de l'hiver 1960-1961 au chant du cygne des Trente Glorieuses en 1974) ; « La Belgique post­unitaire » (du début de la crise économique internationale à partir de 1974 aux ré­formes institutionnelles de 1988-1989) ; « La Belgique fédérale » (de 1989 à aujourd'hui, période où le pays se fédéralise tandis que s'élargit l'Union européenne). Par ailleurs, chacune de ces parties se subdi­vise en quatre chapitres aux intitulés iden­tiques : « L'évolution politique et institu­tionnelle », « L'évolution économique et sociale », « Culture, société, vie quotidien­ne », « La Belgique en Europe et dans le monde ». Par rapport à L’Histoire politique de la Belgique du même auteur, somme qui a connu quatre éditions depuis 1986, ce livre réserve une place plus importante non seulement aux faits de société en général — notamment dans leurs dimensions cultu­relle et matérielle —, mais aussi à l'environ­nement international dans lequel le royaume était plongé à chaque tranche d'histoire envisagée. D'où les « Coups d'oeil sur l'état du monde et de l'Europe » qui précèdent chaque grand volet du parcours, rappels éclairants qui sont complétés à la fin par de courts et utiles résumés répondant à la rubrique « Les grandes évolutions » (de telle date à telle date). L'ouvrage ne néglige pas pour autant de décrire par le menu ce qui a manifestement représenté la mutation capitale de la Belgique depuis la Libération, à savoir le passage progressif de l'Etat uni­taire à l'Etat fédéral.

Le contraire eût été étonnant de la part d'un Centre qui a fait du champ socio-poli­tique belge son principal objet d'étude. Ses publications et travaux antérieurs ont du reste servi de terreau à la vaste synthèse qui vient de paraître et qui, à bien des égards, constitue une œuvre collective. C'est dire combien le travail d'équipe préalable des membres du CRISP s'est révélé essentiel. Tout comme a été précieuse l'aide décidée par Pierre Hazette, ministre de l'Enseignement secondaire de la Communauté fran­çaise.

Est-il besoin d'ajouter que ces initiatives sont particulièrement bienvenues à une époque où le livre se fait rare dans les écoles, au point d'y faire parfois figure d'archaïsme dé­suet face à l'invasion des nouvelles technolo­gies informatiques ? Et au nom de quel em­ballement frivole serait-il devenu obsolète ? Jusqu'à preuve du contraire, il reste le meilleur outil pour l'apprentissage d'un suivi conceptuel et la conquête du savoir en géné­ral, sans parler du plaisir esthétique que peut procurer sa fréquentation régulière. Montaigne, en son temps, y voyait « la meilleure munition pour l'humain voyage ». Pour la compréhension d'un pays aussi mouvant que la Belgique, celui que vient de réaliser le CRISP l'est manifestement aussi. Ne fût-ce que par sa manière de se préserver des interprétations, nécessairement subjec­tives, et de se cantonner avec bonheur aux faits, rien qu'aux faits. Lesquels, on le sait, sont têtus...

Henri Deleersnijder