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Critiques de livres


JEAN-LÉO
La Collaboration au quotidien. Paul Colin et Le Nouveau Journal (1940-1944)
éditions Racine
2002
120 p.

Un quotidien sous l'Occupation

Brossée rapidement, sur le ton direct du reportage, par un journaliste té­moin de l'époque, l'histoire du pre­mier quotidien francophone né de la Colla­boration, et dont le titre annonçait la couleur : Le Nouveau Journal, en référence à l'Ordre Nouveau national-socialiste. L'auteur, Jean-Léo, qui fut chroniqueur no­tamment à La Gazette de Bruxelles et au Pourquoi pas ?, cofondateur de l'hebdoma­daire satirique Pan, animateur à la télévi­sion, enfin libraire-éditeur à l'enseigne du « Grenier du collectionneur », commence par détecter les germes de la Collaboration, dans les années trente. Évoque la riposte des parties traditionnelles aux succès de Rex. Des­sine la carrière de Paul Colin, de sa collabo­ration à La Nation belge de Fernand Neuray à la direction, dès 1934, de l'hebdomadaire de droite Cassandre. Un journaliste doué, brillant, cultivé, prodigue de sa plume (Il est capable de remplir à lui tout seul un journal de 32 pages), polémiste mordant. Surtout, un germanophile exalté, dont la passion exacerbée pour l'Allemagne remonte à sa jeunesse. N'écrivait-il pas en 1919 : J'espère être encore en vie, au jour où l'Allemagne victorieuse dictera, sans leur avoir permis de la discuter, une paix infâme à ses ennemis. D'où ce raccourci aigu de Jean-Léo : En 1940, il a trahi son pays, pas ses idées. C'est le 1er octobre 1940 que paraît le pre­mier numéro du Nouveau Journal. A sa tête, Paul Colin, quarante-quatre ans. Entouré d'une équipe où l'on relève les noms du journaliste écrivain Robert Poulet (rédac­teur en chef), de Pierre Daye, Paul Herten, Paul Werrie, Georges Marlier... Le premier éditorial du « patron » est redoutablement clair : Nous tenterons de montrer aux Belges que leur pays doit réclamer et prendre sa place dans l'économie continentale à l'érection de laquelle le Reich allemand c'est un fait consacre aujourd'hui une grande partie de son effort. (...) La résistance, même passive (...), ne servirait qu'à nous en­lever le bénéfice d'une collaboration loyale sans rien changer au cours des événements. Toutefois, pour ne pas risquer d'indisposer les lecteurs, on insiste habilement sur la li­berté, l'objectivité d'un journal d'esprit nou­veau, qui n'est soumis ni aux partis poli­tiques ni aux industriels et financiers. Et on fait la part belle aux informations utiles pour la vie quotidienne, aux manifestations sportives...

Le succès ne se fait pas attendre. Après quelques mois, Le Nouveau Journal frôle les cinquante mille exemplaires, alors que Le Pays réel de Léon Degrelle n'atteint pas les six mille.

L'année 1943, le vent tourne. Robert Pou­let quitte la rédaction, officiellement pour conflit d'idées. Et, le 14 avril, Paul Colin est abattu par un étudiant résistant de dix-neuf ans, Armand Fraiteur, qui sera pendu avec ses deux complices. L'événement a un immense retentissement. Léon Degrelle, dans Le Pays réel, s'en­flamme : C'était le plus grand journaliste que notre pays ait connu depuis longtemps (...) il était le meilleur polémiste de toute notre presse, mais il n'y avait, à Paris ou à Bruxelles, de critique d'art aussi brillant, aussi profond et aussi précis que lui. Tandis que le journal flamand De Niewsbode salue un homme coupant et tranchant comme une lame, ferme comme un roc, qui avançait droit devant lui, sans ménager rien ni personne. De son côté, la presse clandestine se félicite évi­demment de la disparition de l’ignoble traître...

Le Nouveau Journal ne survivra guère à son directeur. Désormais placé sous la houlette du fidèle mais falot Paul Herten, il s'étiole, de plus en plus livré à la propagande nazie, concurrencé de surcroît par le nouveau quotidien des Presses de Rex, L'Avenir. Le numéro du 2 septembre 1944, à la veille de la libération de Bruxelles, est le dernier. Deux ans plus tard se déroulera le procès du Nouveau Journal, sans sa sulfureuse figure de proue...

Aucun livre n'avait encore été consacré à Paul Colin, et l'on était curieux de mieux connaître le personnage, son caractère, son style, son itinéraire. Mais nous restons sur notre faim. Le portrait est simplement es­quissé. Encore les traits les plus incisifs sont-ils signés Robert Poulet, qui écrivait en 1980 : il ne croyait qu'à lui-même... Un grand esprit et une petite âme mesquine, va­niteuse, rancunière, tortueuse. (Paradoxale­ment, Jean-Léo scrute davantage la person­nalité de Pierre Daye, sujet d'un chapitre annexe intéressant.) On regrette aussi l'ab­sence d'un choix d'articles qui nous aurait permis de prendre la mesure de son talent. D'autre part, l'index des noms et des jour­naux cités compense mal le manque d'une bibliographie.

En revanche, les (nombreuses) illustrations sont très éclairantes : documents d'archives, affiches, dessins humoristiques, avec une mention particulière pour les caricatures de Jean Barthélémy (JiB), parues dans Le Nou­veau Journal dont elles épinglaient quelque­fois les chroniqueurs... Mais le livre sur Paul Colin reste à écrire.

Francine Ghysen