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Critiques de livres


André-Marcel Adamek
La couleur des abeilles.
Pré aux Sources Editions Bernard Gilson
1992
192 p.

La fuite impossible

Roman après roman. André-Marcel Adamek défie le monde. Dans son oeuvre se déchirent l'espoir, l'illusion d'un bonheur qu'il voudrait possible ici sur terre, parmi ses semblables. Depuis 19^4. de neuf ans en neuf ans. il aborde le réel par un thème social différent, un peu semblable en cela à son propre itinéraire qui zigzague entre littérature et peinture, business et élevage de chèvres naines,... dans la quête incessante d'une certaine forme d'équilibre, d'harmonie, peut-on penser à le lire. Quoique... Entre le scientifique du Fusil à pétales (Ed. Duculot. Prix Rossel 1974) qui tentait une échappée vers des lendemains plus frater­nels dans une étrange machine très science-fictionnelle. et l'homme d'affaire d'un imbé­cile an soleil (1983. Luneau Ascot éd.) qui partait cultiver l'ananas dans les îles paradi­siaques, dictateurs et génocide marquaient déjà le pas sur les forces imaginatives du bonheur. Et lorsque l'auteur engage au­jourd'hui son personnage artiste-peintre dans l'aventure de La couleur des abeilles. c'est certes pour le confronter aux plus communes et basses vicissitudes du marché de l'art mais c'est aussi en tant que criminel de type psychotique mono-maniaque, genre « sériai killer ».

Ce peintre qui se rend à Gourdes, la ville des artistes et des expositions, sa charrette à deux roues tirées par des bretelles, souffre d'une obsession quelque peu burlesque, n'étaient ses conséquences : il ne peut peindre, jouir de son art. qu'en séparant du corps la tête du modèle aimé. Il essaye bien de déjouer son obsédante et criminelle manie avec des poissons, des poulets, des moutons mais dès lors l'art ne prend pas.

Or un important galeriste. impressionné par sa merveilleuse technique de couleurs (la couleur des abeilles...) le tient au garrot, une renommée internationale l'attend, aux délais incompressibles... Entre les sensibilités de l'un et les outrages de l'autre, l'écart des mots et des mondes apparaît tel que le lecteur ne sait plus tou­jours comment se situer. C'est qu'on voyage continuellement, dans ce roman, entre un bucolisme doux et paysager à la D'Hôtel et un pessimisme lucide et noir à la Rezvani, avec pour ciment ce style d'Adamek. cette infinie délicatesse pour décrire un parcours à travers la couleur, suivre la ligne d'un cou, le dessin d'un profil. Le style du conteur est là, bien enraciné dans ses mots. On ne peut cependant s'empêcher, face à cette harmonie de base, de regretter que l'intrusion de ce monde extérieur au poète s'exprime par bien des lieux communs. La dénonciation des hypocrisies, des maux du commerce et des corruptions semblent en effet le distraire d'un enjeu plus fondamen­tal. Et l'on se voit souhaiter un choix plus radical qui comprendrait probablement un passage quasi obligé par une violence des plus noire, celle qui doit mariner là, dans le fond de cet écrivain en porte-à-faux entre bonheur, lucidité et sombre colère.

Luc DE MAESSCHALCK