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Critiques de livres


Armel JOB
La femme de saint Pierre et autres récits
éd. Labor
Bruxelles
2004
150 p.

Mourir deux fois

Après plusieurs romans situés à des époques contemporaines et qui nous avaient laissé apprécier ses talents de conteur, Armel Job publie aujourd'hui une suite de récits en bordure des Evangiles. Est-ce son passé de profes­seur qui reprend le dessus pour traiter un sujet qui relève plus de la matière d'un cours que de la fiction ou est-ce l'ensei­gnement dans lequel il exerce qui a fait pression pour qu'il mette ses dons de plume au service d'une matière qu'il est parfois utile d'actualiser au goût du jour ? Je l'ignore. Je constate seulement qu'il aborde le sujet avec une aisance qui témoigne d'une fréquentation de longue date et que cette vieille habitude l'auto­rise à assouplir quelques interprétations. Disons quand même — mais sous ré­serve de mon aptitude à en juger — que ce que Job écrit reste conforme aux Evangiles et qu'il ne verse ni dans le dog­matisme ni dans le prosélytisme si ce n'est en rebattant une histoire ancienne. Toutefois, l'intérêt ici est de situer les récits en bordure des Evangiles. Car s'il est des histoires que l'on se raconte et se répète depuis deux mille ans, il faut bien que ces histoires aient eu une source, un contexte, quelques protago­nistes et un public qu'il est possible d'imaginer et de mettre en scène. Au passage, il faut quand même constater l'étonnant paradoxe qui consiste à (re)séculariser ce qui s'était donné comme une révélation et l'ambiguïté de la démarche : comment retrouver, en s'ancrant à hauteur d'homme et dans le siècle, une dimension spirituelle quand on se veut terre à terre et au ras du quo­tidien ? Mais, soit ! C'est peut-être sur ce point que quelque chose m'échappe et je ne veux pas faire de la théologie. Revenons aux récits... Il y a un charpentier qui va boire dans les auberges à la recherche d'une cam­buse parce que sa femme est pressée de s'aliter (« Vite ! Vite ! ») mais il y a un monde fou à Bethléem et il en a un peu marre de s'appeler Joseph. Il imaginera, plus tard, que son fils deviendra maître charpentier et qu'ils iront à deux sur les chantiers avec la carriole bâchée mais il sait que son rêve est tout faux. Il y a le Plongeur qui travaille dans le Jourdain et harangue la foule massée sur la rive. Il est impayable sur le chapitre de la fin des temps et fait recette jusqu'au jour où une danseuse demande sa tête sur un plat.

Il y a un homme qui travaille dur dans les vignes et dans les blés et qui est saisi de haine et d'incompréhension quand son père décide de tuer le veau gras pour célébrer le retour de son minable de frère.

Dans un bled de demeurés il y a Lazare qui avait été ressuscité, on ne sait pas pourquoi, personne n'avait rien demandé, qui est maintenant mort pour de bon.

Il y a Judas, qu'on traite de voleur, à qui on jette la pierre. Mais quand même, il fallait bien quelqu'un pour tenir la caisse et assurer l'intendance des douze parasites...

J'en passe et ce n'est pas une question de religion. Armel Job a dévoyé son ta­lent de conteur et sa finesse d'esprit dans un style outrancièrement familier, facile et anachronique. Cela fait tache et ce n'est pas drôle.

Jack Keguenne