Jours enfouis
Simon, expatrié, revient à Bruxelles suite au décès de son père. Il en organise maladroitement les obsèques car il s'aperçoit qu'il ne sait pas grand chose de lui, de ce que fut sa vie. En vidant sa bibliothèque, il commence à comprendre mais il reste intrigué en visionnant les bobines de super-8 dont son géniteur était féru : scènes banales à des terrasses de cafés ou parties fines... Et, surtout, il y a cette jeune femme énigmatique qui apparaît régulièrement. Rassemblant ses souvenirs puis menant l'enquête, Simon va découvrir la face cachée de son père et son action de résistance à un des aspects les moins ragoûtants de l'Histoire...
Berenboom laisse dans son récit quelques invraisemblances qu'il eût été facile de corriger et son écriture vise plus à l'efficacité qu'au style mais, sur le fond, sa dénonciation des faits sonne juste ; elle reste d'ailleurs d'actualité et appelle toujours à la vigilance. Et il y a là-dessous une leçon morale sur l'impuissance à laquelle on ne peut rester indifférent. C'est un peu la même approche philosophique que privilégie Françoise Lalande dans son dernier recueil de nouvelles, mais elle la fait éclore par l'autre côté, non par son aspect sociétal, mais par le vécu intime de quelques personnages qui aspirent à être, à exister, malgré ce qu'ils ont eu à subir. Se développe ainsi un ton doux-amer qui est celui de la confidence, arrachée parfois aux larmes, que l'auteure traite avec une belle délicatesse mais non sans garder un regard impitoyable, sans illusion, sur les conditions de vie qui ont mené à cette blessure, à ce basculement. Lalande, en jouant habilement de la ponctuation, construit chacune de ses nouvelles comme une seule et même longue phrase dont le flux — l'émotion est portée par le mouvement littéraire, cadencée par son rythme — fait du lecteur le confident direct de secrets douloureux.
Ici non plus, l'indifférence n'est pas possible devant ces destins troublés dont on voit que, contrairement aux mythes grandiloquents que nous entretenons, ils ne sont que la somme d'événements dérisoires ou de paroles légères, de dérives évitables. Entre les lignes, la même impuissance resurgit : en matière humaine, tout acte a des conséquences imprévisibles. Ainsi, oui, Céline a « aussi » une histoire, celle de sa vie en marge, de sa fragilité puis de son viol... Est-ce à dire, par l'absurde, par le désastre, que les gens normaux n'auraient pas d'histoire ? Mais, tout compte fait, existent-ils ces gens-là ? Avec beaucoup de tact, Lalande soulève l'interrogation en abordant ces parties clandestines que chaque vie recèle. Ces deux livres touchent à des questions essentielles, douloureuses ; l'émotion qu'ils charrient leur impose la brièveté sous peine de devenir insoutenables. A une époque de surenchère, il faut saluer l'éditeur qui fait le choix de publier ces petits livres, discrets quant au format mais loin d'être insignifiants.
Jack Keguenne