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Critiques de livres


Alain BERENBOOM
La fille du super-8
Le Grand Miroir
2003
49 p.

Jours enfouis

Simon, expatrié, revient à Bruxelles suite au décès de son père. Il en orga­nise maladroitement les obsèques car il s'aperçoit qu'il ne sait pas grand chose de lui, de ce que fut sa vie. En vidant sa biblio­thèque, il commence à comprendre mais il reste intrigué en visionnant les bobines de super-8 dont son géniteur était féru : scènes banales à des terrasses de cafés ou parties fines... Et, surtout, il y a cette jeune femme énigmatique qui apparaît régulièrement. Rassemblant ses souvenirs puis menant l'enquête, Simon va découvrir la face cachée de son père et son action de résistance à un des aspects les moins ragoûtants de l'His­toire...

Berenboom laisse dans son récit quelques invraisemblances qu'il eût été facile de cor­riger et son écriture vise plus à l'efficacité qu'au style mais, sur le fond, sa dénoncia­tion des faits sonne juste ; elle reste d'ailleurs d'actualité et appelle toujours à la vigilance. Et il y a là-dessous une leçon mo­rale sur l'impuissance à laquelle on ne peut rester indifférent. C'est un peu la même approche philoso­phique que privilégie Françoise Lalande dans son dernier recueil de nouvelles, mais elle la fait éclore par l'autre côté, non par son aspect sociétal, mais par le vécu intime de quelques personnages qui aspirent à être, à exister, malgré ce qu'ils ont eu à subir. Se développe ainsi un ton doux-amer qui est celui de la confidence, arrachée parfois aux larmes, que l'auteure traite avec une belle délicatesse mais non sans garder un regard impitoyable, sans illusion, sur les condi­tions de vie qui ont mené à cette blessure, à ce basculement. Lalande, en jouant habile­ment de la ponctuation, construit chacune de ses nouvelles comme une seule et même longue phrase dont le flux — l'émotion est portée par le mouvement littéraire, caden­cée par son rythme — fait du lecteur le confident direct de secrets douloureux.


Françoise LALANDE
Moi aussi j'ai une histoire
Bruxelles
Le Grand Miroir
2003
57 p.

Ici non plus, l'indifférence n'est pas possible devant ces destins troublés dont on voit que, contrairement aux mythes grandiloquents que nous entretenons, ils ne sont que la somme d'événements dérisoires ou de pa­roles légères, de dérives évitables. Entre les lignes, la même impuissance resurgit : en matière humaine, tout acte a des consé­quences imprévisibles. Ainsi, oui, Céline a « aussi » une histoire, celle de sa vie en marge, de sa fragilité puis de son viol... Est-ce à dire, par l'absurde, par le désastre, que les gens normaux n'auraient pas d'histoire ? Mais, tout compte fait, existent-ils ces gens-là ? Avec beaucoup de tact, Lalande soulève l'interrogation en abordant ces parties clan­destines que chaque vie recèle. Ces deux livres touchent à des questions es­sentielles, douloureuses ; l'émotion qu'ils charrient leur impose la brièveté sous peine de devenir insoutenables. A une époque de surenchère, il faut saluer l'éditeur qui fait le choix de publier ces petits livres, discrets quant au format mais loin d'être insigni­fiants.

Jack Keguenne