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Critiques de livres


Paul COUTURIAU
La folie Halloween
Ed. du Rocher
1996
280 p.

« Pour vivre, nous sommes morts » (graffiti)

Ah ! On l'attendait le dernier roman de Paul Couturiau ! D'abord, parce qu'on savait qu'il avait fait le détour par San Francisco, pour promener son spleen et son inspiration sur Castro, Market et Fisherman's Wharf. Ensuite, parce qu'on avait gardé sur la peau les frissons de Boulevard des ombres et la moiteur de Blues pour Mary Jane, et qu'on voulait savoir comment il allait nous faire l'épiderme, cette fois-ci. Enfin, parce qu'il avait déjà lâché le mor­ceau de la folie maniaco-dépressive et que promener le père Freud dans le thriller, c'est toujours un challenge.

A tourner les premières pages de La folie Halloween, citation et dédicace, on comprend immédiatement qu'elle s'est écrite noir sur noir. La mémoire d'un père trop tôt disparu, un graffiti à la gloire du suicide donnent le ton d'un chant désespéré. Et, dès l'abord, l'avertissement de circonstance concernant « toute ressemblance avec des personnes etc. » laisse à notre pudeur, plutôt qu'à notre pers­picacité, le soin de rien décider. Dépassées donc les vingt règles du roman policier édictées par Van Dine en 1928 ? Définitivement pour ceux qui croiraient encore au divertissement et à l'invraisem­blance des combinaisons possibles comme garanties de qualité. Paul Couturiau restitue un réel uniformément noir foncé, beau­coup, à la folie, jusqu'à la mort... Il faudrait dire « les » morts, les plus sordides, les atroces, les impardonnables. L'enquêteur lui-même sait — depuis le début — et meurt. Pas même de « beauté qui triche » ? Non, constate-t-il, « ici tout était vrai. Sinistre et vrai ». Car il a surtout mal à son monde, auquel il s'identifie : la solitude, l'impossibilité de l'amour, le vent de folie qui charrie les épaves, l'absence de pitié. Dans leur habit de grisaille et de brume, tous les personnages éprouvent frus­trations, fatigues, doutes et dégoûts, mais sans partage. « II y a trop de souffrance et d'injustice. Il n'est pas facile de trouver les responsables ». Une seule solution : tout prendre sur soi. Difficile, quand on n'est pas le Christ ! Ou alors : « fermer les yeux pour ne pas souffrir ». On encore : « lâcher la sou­pape pour ne pas devenir dingue ». L'enquêteur essaie et tâtonne, jusqu'à tenter d'enregistrer les voix de l'au-delà. Ce ne sont pas les deux énigmes, parallèles, qui lui font difficulté. Il sait. C'est sa propre (dis)solution qui l'obsède. Jusqu' à sublimer sa souf­france, jusqu'à expier : boire, pleurer, se châ­tier soi-même pour assurer sa rédemption. Comme Steeman cancéreux cherche, dans Autopsie d'un viol, son dernier roman, à régler des comptes, tout particulièrement avec les médecins, Couturiau a aussi — l'humour en moins — un œuf à peler avec les toubibs, « professionnels de l'indiffé­rence ». Et la manie dépressive, qu'il évoque d'un bout à l'autre du roman, cristallise tout ce qu'il peut glaner, à la faveur d'une enquête, de morbidité, de viol, de culpabi­lité, voire d'hallucination, en une grimace de douloureuse folie, qui est celle des poti­rons évidés d'Halloween : une mascarade à la veille de la Toussaint, une impossible réconciliation avec la nature humaine. Et le trop-plein déborde par deux voix alter­nées. Celle de l'injure, d'abord, la cathartique, celle qui simplifie les choses, momentané­ment. Mais surtout celle de la confidence, voire de la confession, celle qui sait qu'elle ne fera rêver personne et qui ne tient pas le coup jusqu'au bout. Parce que l'enquêteur sait qu'il sait — enfin — et meurt.

Une vertigineuse descente aux enfers qui répond à la question initiale : ni chaud ni froid sur la peau, mais écorché vif.

Danny Hesse