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Critiques de livres


Xavier DEUTSCH
La guerre que je n'ai pas voulue en ex-Yougoslavie
Bruxelles
De la démocratie
1994
76 p.

L'utilité d'écrire

Parfois le sens d'une action se trouve dans son utilité sociale. Ecrivain sa­chant écrire, Xavier Deutsch a mis son savoir-faire au service de l'information et de l'aide humanitaire en composant à l'usage des adolescents (mais les adultes n'en savent pas forcément plus qu'eux) un petit vade-mecum bien documenté sur la guerre — que je n'ai pas voulue, précise son titre — en ex-Yougoslavie. Composé « pour, avec et grâce à Causes Communes », ce livre se veut accessible à toutes les bourses (il coûte 1 écu à peine ou 50 francs belges) ; sa vente servira en grande partie à financer les quatre projets de solidarité que cette association mène en Croatie. On y apprendra, évoquées en un style alerte, les origines historiques, lointaines ou proches, de la mosaïque actuelle (qui remonte au IVe siècle, au moment du partage de l'Empire romain en deux grandes zones, occidentale et orientale, dont la frontière traverse en son milieu l'actuelle Bosnie) ; on y trouvera une rapide description des com­munautés en présence ; on y lira, question de remettre les valeurs à leur juste place, une définition de concepts tels que la puri­fication ethnique ou le nationalisme ; on y découvrira enfin quelques documents (des­sins, coupures de presse, éléments de statis­tiques, lexique de poche, brèves de comp­toir...)    qui    évoquent    de    façon    très dynamique, avec humour souvent, la réalité de ce pays et les idées qu'on peut s'en faire.


Gérard ADAM
La chronique de Santici. Les carnets d'un Casque bleu en Bosnie
Lausanne
Luce Wilquin
1995
224 p.

Cette réalité, Gérard Adam a voulu y tou­cher de près en s'engageant, au titre de mé­decin militaire, dans le régiment belge de la Forpronu chargé d'on ne sait plus trop quelle mission  tactico-pacificatrice.  Il a voulu cette expérience par désir de gloriole, eh oui, pouvoir dire « j'y étais », et goût de l'aventure trop longtemps contenu, pour es­sayer de comprendre l'incompréhensible (« comment on peut passer de l'état de civi­lisation à l'état de barbarie »), parce qu'il avait honte aussi de l'attitude de l'Europe face à cette guerre compromettante qui frappe à sa porte, parce qu'enfin ce lieute­nant-colonel est un écrivain, et que le romancier qui travaille en lui a besoin, il l'avoue,   de  puiser  l'inspiration   ailleurs qu'en soi-même (ce sont pourtant les pages où il s'abandonne à l'introspection qui don­neront à ces Carnets d'un Casque bleu en Bosnie leur résonance toute personnelle). Pour toutes ces raisons confusément mêlées, et qu'il démêlera en examinant sans com­plaisance   leur   légitimité   au   regard   de l'éthique, Gérard Adam s'est donc retrouvé un jour d'avril 1994 sur la route de Santici, en Bosnie, où son unité va établir ses quartiers. Il tiendra durant plus de quatre mois la chronique de cette vie d'exception où l'ennui est la règle. Car le temps passe len­tement quand on est confronté à des tâches répétitives, que le travail doit s'accomplir au rythme dicté par la bureaucratie et qu'en chacun s'insinue peu à peu un sentiment d'impuissance — partiellement compensé, il est vrai, par la conscience d'être parfois utile au moins à quelques-uns. Au fil des missions qui le conduisent à sillonner la région, passant et repassant de zone bosniaque en zone croate, il va décou­vrir « la beauté des paysages, la sauvagerie des destructions » et s'imprégner peu à peu de la configuration nouvelle de cette terre qu'il avait visitée en touriste quelques an­nées plus tôt. Il va aussi apprendre à en connaître les habitants, par l'intermédiaire le plus souvent des interprètes du camp. Il pose   des   questions,   discute,   fraternise. Tâche d'imaginer comment l'horreur a pu naître et se développer. Et s'il rencontre par­tout des gens prêts à reprendre un dialogue qu'ils n'avaient d'ailleurs jamais voulu inter­rompre, car leurs habitudes étaient pluriculturelles, il doit aussi mesurer l'ampleur des méfaits de la guerre sur les esprits et des traumatismes qu'il faudra refouler pour pouvoir vivre en paix. Rassemblant les té­moignages, il en arrive à la conviction que les peuples n'ont pas voulu ce conflit : ma­nipulés, fanatisés, ils ont été conduits à la boucherie par des dirigeants qui prenaient appui sur la force militaire et les mafias locales pour assouvir leurs ambitions. Lucide et généreux, Gérard Adam ne tire pas pour autant de ses analyses de véritable conclusion politique, car sa vision de l'his­toire ne dépasse jamais la perspective hu­maniste. C'est que, sans doute, ses enjeux existentiels sont ailleurs qu'on devine à travers son souci constant de cerner au plus près la vérité de ce qu'il est en train de vivre. De lui donner sens, pour les autres autant que pour soi. Ecrivant son journal, en effet, dans ce décalage de l'inti­mité que donne aux solitaires la cohésion d'un groupe, Gérard Adam n'oublie jamais le regard d'autrui, soit qu'il consigne scru­puleusement les propos de ses interlocu­teurs, soit qu'il pense à ceux qui le liront et qu'en partie, il connaît déjà, puisque, durant son séjour, il a fait part de ses ré­flexions à deux écrivains, Michel Lambert et Pierre Mertens, avec qui il correspon­dait. Ce dernier l'a encouragé à poursuivre son travail de chroniqueur puis à éditer son manuscrit. Il avait raison : il arrive que le sens d'une action, différé, se trouve dans son écriture.

Carmelo Virone