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Critiques de livres


Marcel LA HAYE
Poésies
Châtelineau
Le Taillis Pré
coll. Ha !
2004
169 p.

Un poète modeste

A ceux qui trouvent la poésie moderne trop complexe, trop fermée ou trop noire, voici un antidote : le recueil Poésies de Marcel La Haye publié au Taillis Pré dans la collection Ha ! Une œuvre fraîche, sou­riante, légère, sans prétention et sans parti pris, pleine d'humour et de fan­taisie. Si le nom de La Haye vous est inconnu, n'allez pas croire qu'il s'agit d'un jeune poète débarquant dans le monde des lettres : hélas ! L’homme a disparu depuis plus d'un quart de siècle et c'est à la curiosité de Gérald Purnelle, l'un des trois directeurs de la col­lection Ha !, que nous devons sa tran­quille résurrection.

Né en 1908, décédé en 1972, Marcel La Haye était à la fois un avocat bruxel­lois et un poète proche de Norge, de Jean Follain et de Franz Hellens. Il a publié, dans diverses revues (comme Le Journal des poètes, Le Thyrse, la NRF de Jean Paulhan et Marginales d'Aygues-parse), des poèmes en prose ou de petits poèmes en vers réguliers très courts, qu'il a réunis dans plusieurs recueils. Trois de ceux-ci sont parus de son vi­vant, un quatrième peu après sa mort. Le livre que nous propose aujourd'hui Le Taillis Pré contient l'intégralité des deux premiers recueils (La Clef sous la porte, 1964, et Grotesques, 1969), ainsi qu'un choix opéré dans les deux der­niers (La Chlorophylle, 1972, et Signes, 1973). Une note nous promet un se­cond volume composé de poèmes iné­dits retrouvés dans les archives fami­liales et d'autres parus uniquement en revue.

Peut-être trouvera-t-on que certains pe­tits poèmes rimes ressemblent trop à des ritournelles naïves, comme celui-ci : « Le léopard / On le dit cancre / Rapport aux taches d'encre / Séchant sur son bu­vard. » Mais ils participent à l'ensemble et s'avèrent parfois assez énigmatiques. De toute façon, de l'avis unanime, comme l'explique Gérald Purnelle dans sa préface (intitulée « Le sourire de Mar­cel La Haye »), ce sont les poèmes en prose qui constituent la meilleure part de l'œuvre. Ces courts textes, dont la longueur oscille entre une demi-page et deux pages, sont pour la plupart consa­crés à des objets de la vie courante, à des animaux familiers ou à des végétaux communs : la machine à écrire, les moustiques, le pissenlit. Des sujets aussi ténus, l'humour avec lequel ils sont trai­tés, les petites leçons morales qui s'en dégagent parfois, le peu de place laissée à priori à l'être humain : le lecteur de poé­sie songe immédiatement à Francis Ponge et à son célèbre Parti pris des choses. Aussi Gérald Purnelle compare-t-il les deux poètes dans sa préface, sou­lignant aussi bien ce qui les rapproche que ce qui les sépare. Nous n'allons pas reprendre ici son éclairante démonstra­tion : contentons-nous d'y ajouter une différence. Si Ponge était un poète très ambitieux, La Haye, visiblement, était un modeste. Il semble avoir écrit par pur plaisir, sans se soucier de cette proximité que tant d'autres auraient jugée encom­brante. Il allait jusqu'à aborder des sujets déjà traités par son illustre devancier, tels que la bougie, la pomme de terre, la langouste, le papillon ou la fraise. Rien n'indique qu'il aurait cherché à dépasser Ponge du point de vue stylistique ou thématique. La Haye suivait sa voie, dé­veloppait son propre style, moins so­phistiqué que celui du poète français, mais pas si simple qu'il n'y paraît à première vue : des métaphores originales abondent, les phrases sont chargées de verbes qui se pressent les uns derrière les autres en de longues énumérations. Il arrive que Marcel La Haye, d'ordi­naire si gai, se montre quelque peu grave et évoque la mort ou le temps qui passe. Cependant, il le fait toujours avec sagesse, sans emphase, sans dramatisa­tion, comme dans un très beau poème, intitulé « Maison », dont voici les pre­mières lignes : « Les piliers massifs construits par des maçons depuis long­temps morts poursuivent leur garde, ali­gnant des grilles en forme de lances pi­quées sur un muret qui s'incline. De leur construction personne ne se sou­vient, et non plus du bourgeois qui le premier habita la maison trapue en re­trait, cachant mal un jardin où les arbres se disputent leur place. »

Laurent Demoulin