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Critiques de livres


Alexandre MILLON
La ligne blanche
éditions Luc Pire
coll. Embarcadère
2001
189 p.

La rousse ou la brune ?

Qu'est-ce qui peut pousser un jeune écrivain, photographe, artiste en tous genres à s'enfourner le nez en l'air dans une aventure (foireuse) de près de deux cent pages ? Un orang-outang échappé du cirque, une fin d'amnésie douteuse qui le rappellerait à son passé de matador ou encore un maboul aux habitudes de bistrot vieilles de trente années qui lui révélerait sa véritable identité : Humphrey Bogart. On n'y est pas du tout, et force est d'avouer que, dans ce deuxième roman d'Alexandre Millon, moustachu vivant en Belgique (mais si, c'est compatible !), question imagi­nation, on nage dans un liquide bien plus élaboré que celui des élucubrations sim­plistes du soussigné.

Alexandre, le héros de l'aventure, coule des jours presque paisibles dans le Brabant, en compagnie de Chiara, jeune motocycliste et belle Sicilienne (jeune et belle, il ne le dit pas mais on le devine, du moins je le soup­çonne !). Chômeur d'extrêmement longue durée, il passe sa vie à ressasser des vieux pro­jets d'écriture, à photographier des jeunes filles qu'il rencontre, parfois grâce à son ta­lent fou de fantasmeur. Oui, je n'ai pas tout dit : Alexandre est un excellent fantasmeur ; pire, il élève ce don naturel à un art quasi divin. Ainsi, en plein milieu de problèmes de couples qui semblent difficilement surmontables, il ne peut s'empêcher de s'imaginer aux prises avec la meilleure amie de Chiara (amie dont je préfère taire le nom, pour des raisons déontologiques), une rousse pulpeuse dont la seule évocation fait frémir le vieil es­thète que je suis.

« L'imagination mène à tout à condition d'en sortir » dit Alexandre, mais on ne com­prend jamais dès le début d'une histoire s'il en sort ou s'il y rentre. Autour de lui, tout prend une odeur de sexe chaud, qui n'est pas désagréable, loin de là, mais qui enve­loppe le lecteur dans une douce ascension, parfois brisée sec : on lit, on y croit, on se dit ce n'est pas possible et puis pof, on re­tombe, le narrateur avoue qu'il délirait, qu'il n'a pas passé la ligne blanche, celle qui se dresse entre ses multiples rêves érotiques et leur réalisation. Il faut dire, à la décharge de l'ami Alexandre, que ses fantasmes ne vont jamais sans un soupçon de culpabilité, ou du moins de questionnement, ou du moins de début de questionnement. Ça rend le personnage élégant en même temps qu'attachant, ça le place légèrement en de­hors des réalités, ce qui ne manque pas d'énerver au plus haut point sa jeune et belle compagne sicilienne (mais où ai-je lu qu'elle était jeune et belle ?) Ça c'est pour planter le décor ; le reste de l'histoire, je vous le laisse découvrir vous-même, vous ne vous embêterez pas. Il faut dire que Millon sait mener sa barque, avec ce qu'il faut de tangage pour qu'on soit dé­contenancé. Sans mal de mer : le scénario n'a rien d'extraordinaire, c'est du Woody Allen façon Bruxelles-Banlieue-Boisée, mais justement, les dialogues sont drôles, les si­tuations cocasses, le langage inventif, par­fois trop : j'aurais préféré ne pas devoir lire certains jeux de mots, pas toujours douteux, qui plus est. Qu'importe, il doit s'agir du pendant de la fraîcheur qui baigne tout le récit, et ça, c'est réjouissant ! Ah ! Que c'est bon de fantasmer, merci de me l'avoir rappelé ! Et cette jeune et belle Sicilienne... Enfin... (Soupir.)

Noël Lebrun