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Critiques de livres


Francis DANNEMARK
La longue course
Le Castor Astral
Bordeaux
2000
190 p.

L'échappée intime

C’est un « road-poème ». Il y a des voitures, des villes, des prairies traversées de chemins et des cou­leurs particulières, sourdes, tendres. Les voi­tures, les villes sont importantes. Quelques femmes, des rencontres aussi. Ce n'est pas voyager, voir, raconter. Pas besoin d'être loin, d'être frappé par des paysages ou des gestes inouïs, pour découvrir ces mouve­ments lents, infimes qui font et défont les vies, au plus profond.

La longue course de Francis Dannemark paraît aux Editions du Castor Astral, rassemblant 25 ans de poèmes, d'aphorismes, de textes qui jalonnent l'existence de leur auteur. « Je me souviens parfois très bien d'un passé qui n'a pas existé. » C'est un peu cela, la rencontre avec une route de 25 ans de textes poétiques : des émotions, des images, des sentiments que l'on a éprouvés un jour, peut-être, des choses que l'on aurait pu vivre ou écrire, même si c'est dans la vie d'un autre qu'elles (n')ont (pas) existé. La longue course, c'est, en treize étapes de 1974 à l'an 2000, une anthologie : les textes ont été sélectionnés, certains ont été rema­niés. Les contacts entre des poèmes de la pre­mière heure et les derniers donnent, évidem­ment, d'autres couleurs à l'ensemble, conçu l'été 2000. Dommage que les photos et des­sins des premières éditions soient absents... Entre 1974 et 1976, Dannemark écrit Heu­res locales. Seghers les publie en 1977. L'au­teur a vingt-deux ans. Ce sont des poèmes, des vrais, dans la lignée de Michaux, d'Eluard, de Prévert. Avec un zeste de « road movie » et des citations toutes crues en anglais qui annoncent une autre ère. Déjà, Antarctique en 76-77, premier opus publié au Castor Astral, révèle d'autres rythmes. Toujours ces phrases anglaises qui flirtent avec notre langue et ouvrent la pers­pective, de petites citations nées d'un quoti­dien qui sortirait d'un film de Wenders. Et la petite musique d'un saxophone insistant. Clous de girafe (1974-1977) et Garden-Party (1979) nous la jouent plutôt à la Prévert, musique des mots, ironie des images. C'est la part fantasque de l'écriture « jeu de lan­gage » qui émaille plus ou moins la produc­tion de Dannemark selon les époques. Dans les années 90, les poèmes renouent avec les rythmes des années 70. Entre les deux, les textes se font plus denses, plus carrés. Somme toute, l'avantage d'une anthologie, c'est de laisser voir en quoi la manière du poète s'est frottée à l'époque, a subi les in­fluences de son temps et de son histoire ou bien les a rejetées.

La longue course, c'est Alice dans les villes, pas Aguirre la colère de dieu. L'exotisme n'a pas la part belle ici. Pas de chevauchée sau­vage, pas de flamboiement des couleurs, mais la simplicité d'observation permise à chacun. « Les poètes et les marins pensent à des récits de voyage, mais ils se font ici, dans les avenues que la nuit des villes élar­git. ». Ou encore : « Pourquoi faudrait-il que je voyage ? Le mouvement m'intéresse plus que la distance et je peux très bien ex­pliquer le mot retour. » C'est curieux, à une époque où les théori­ciens rivalisaient pour faire taire la littéra­ture, Dannemark n'en a eu cure et a osé porter haut le flambeau de la poésie. Péri­mètres, textes écrits entre 1977 et 79, abor­de des thèmes qui ont marqué l'époque, l'importance des lieux urbains, de la vie in­térieure aussi.

« Une phrase sur du papier : je vis à titre ex­périmental, et j'ai perdu les plans d'un autre territoire. »

Les romans sont venus ensuite, ont croisé des publications de textes poétiques, plus confidentielles. Dix romans chez Robert Laffont et au Castor Astral, neuf livres de poèmes. Un conte, La traversée des grandes eaux, a paru chez Cadex. Les histoires que Dannemark raconte n'empêchent pas sa poésie d'exister. Les unes et les autres se font écho, paraît-il.

Dannemark nous livre pas mal de textes poétiques inédits, écrits ces cinq dernières année. Comment peut-on être encore poète à l'époque glorieuse des fils de pub et du marketing triomphant ? Métamorphoser la langue, (se) jouer d'elle, faire étinceler mots et images pour qu'ils ré­vèlent l'autre au plus profond. Vraiment. L'échappée des mots offre à ceux qui le désirent des retrouvailles intimes inégalables, des confidences loin du superficiel et du tape-à-l'œil.

Comment pourrait-on, sans poésie, survivre à cette époque ?

Nicole Widart