pdl

Critiques de livres

Caroline Lamarche et Charlotte Mollet
La Barbière
Bruxelles
Les Impressions nouvelles
coll. Traverses
2007
96 p.

Un conte rouge et noir
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 149

La Barbière : un livre joliment édité, qui se regarde autant qu'il se lit. Un conte érotique et cruel, où se mêlent étroitement, sous la plume de Caroline Lamarche, l'imagination débridée et la sobre précision du trait, le feu et la glace, la volupté et la douleur. Mis en images avec une poésie onirique, des harmonies de couleurs originales et sûres, par Charlotte Mollet, illustratrice jusqu'ici de livres pour la jeunesse.

Dans une ville épargnée au sein d'un pays en guerre, la Barbière, dans son salon au grand fauteuil incliné, manie avec une habileté suprême rasoirs, ciseaux, couteaux. Son art culmine dans un rituel implacable : «Elle passe, comme une caresse, la lame près de l'œil. L'homme clôt les paupières, il s'abandonne. Le couteau peut alors faire son ouvrage. L'œil roule. Il émerge de sa cavité sous la pression du couteau, pression douce, circulaire, qui détache soigneusement la moindre adhérence. L'œil s'éjecte et rebondit sur le sol. Des hommes sont ainsi énucléés tous les jours.» C'est le prix à payer pour que le Grand Ob, amateur d'yeux frais, protège la cité. Cette scène, raffinée dans sa barbarie, Caroline Lamarche l'a-t-elle vue en rêve, elle qui confiait, lors de la parution de Lettres du pays froid : «Travailler au départ des rêves, même s'ils véhiculent des contenus violents, a quelque chose de libérateur»?

L'histoire singulière de la Barbière est racontée par sa jeune assistante, la discrète et vigilante Mira, fascinée par le sacrifice qui se déroule sans un cri, jour après jour.

Tout bascule quand apparaît dans le salon le capitaine Dragon, qui en devient le maître. Soumettant la Barbière à ses désirs, ses caprices, ses sévices. Elle vit désormais dans la fièvre. Éperdue, tremblante, chavirée, elle «marche à sa perte avec une ferveur qui n'a rien de mièvre. Elle sait que sa place est là : dans l'obligation qui lui est faite, pour une raison obscure, d'obéir à Dragon». La soumission, poussée jusqu'au vertige, à la folie. Le consentement à l'emprise de l'autre, à sa domination, à sa brutalité. Un thème qui hante les livres de Caroline Lamarche, depuis son premier roman, non pas Le jour du chien, comme on le dit d'ordinaire, mais La nuit l'après-midi, initialement sorti chez Spengler, avant de reparaître aux éditions de Minuit. Qu'elle explore, creuse sans fin, douloureusement, obstinément.

C'est Mira, la modeste, la docile, qui brisera l'engrenage, imposera sa justice sauvage, sauvera la paix.

On retrouve dans ce conte rouge et noir la maîtrise de Caroline Lamarche, son audace, son ironie. Et cet-te passion entêtante des états extrêmes, des âmes brûlées, des dérives volontaires, des traversées sans retour...