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Critiques de livres

Stéphane Lambert
Bruxelles - identités plurielles
photographies de Samuel Nicolaï
Paris
Autrement
coll. «Villes en mouvement»
2006
256 p.

Stéphane Lambert : écrivain pluriel
par Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 145

Reprenons la quatrième de couverture de Filiations, le dernier ro-man paru de Stéphane Lambert et ajoutons nos commentaires entre parenthèses : «Né en 1974 (à trente-deux ans, il a déjà fait et écrit tout cela), Stéphane Lambert est philologue romaniste de formation (la voie habituelle quand on aime la littérature et veut travailler dans ce secteur). Il a été très actif dans le domaine du livre en Belgique (critique littéraire à La Libre Essentielle, et surtout cofondateur des éditions Ancrage et du Grand Miroir) avant de se consacrer aux arts de la scène (journaliste à L'Éventail où il présente l'actualité du théâtre et directeur de La Maison du Spectacle-La Bellone à partir de janvier 2007). Il a publié un recueil de nouvelles, Comme de se dire d'un amour qu'il sera le dernier (prix Franz De Wever ; ce recueil reprend le très beau Ensemble, Simone et Jean sont entrés dans la rivière, paru quelques années auparavant) et est l'auteur d'un roman (Histoire d'amour) et de deux essais sur Bruxelles (Bruxelles et l'amour, Bruxelles – identités plurielles)». Ajoutons – ce qui n'est pas repris en quatrième de couverture – qu'il a aussi publié Charlot aime Monsieur, un recueil d'entretiens intitulé Les rencontres du mercredi, des textes en revue et des préfaces.

En suivant et commentant ainsi la notice biographique de Stéphane Lambert, nous souhaitions montrer comment un jeune homme d'aujourd'hui peut encore se décider à vivre – même si parfois c'est cahin-caha – par et pour le livre. Et aussi qu'il ne faut pas s'étonner qu'en cet automne il ait publié pas moins de trois livres et en ait préparé un autre, à paraître en janvier : des entre-tiens avec Micheline Presle. Passons en revue ces trois publications où il fait montre de ses différents savoir-écrire.

Stéphane Lambert
Filiations
Bruxelles
Labor
coll. «Grand Espace Nord»
2006
171 p.

Partons de la moins littéraire pour aller vers celle qui l'est le plus. Bruxelles – identités plurielles appartient au genre journalistique. Il dresse un portrait kaléidoscopique de notre capitale à travers certains de ses habitants, de ses créateurs, de ses acteurs. De ceux qui font de Bruxelles ce qu'elle est aujourd'hui, une ville attachante et, selon l'adjectif de Stéphane Lambert : plurielle. Un des mérites de l'auteur est d'avoir rencontré des gens plutôt inattendus dans ce genre de publications. Pour preuve, les écrivains interviewés sont Thomas Gunzig et Nathalie Gassel et non pas des pontes de l'institution.

Dans Donnez-nous des maîtres qui célèbrent l'Ici-Bas, Stéphane Lambert intervient en universitaire. Il publie les lettres que Rainer Maria Rilke a écrites à Émile Verhaeren. Il en fait la présentation, écrit les notes. Si cette correspondance n'apparaît pas indispensable, elle se lit sans déplaisir, Rilke se montrant avant tout en admirateur de Verhaeren.

Contrairement aux deux autres livres, Filiations est dû au Stéphane Lambert écrivain et non écrivant. Composé de deux parties, de deux variations pour le dire comme l'auteur, il est nourri de quelques-uns des motifs récurrents de son œuvre (l'eau, l'écriture, le rapport entre deux hommes, l'un plus âgé que l'autre…). Avouons que si les deux récits ne nous étaient pas parvenus dans un même volume et avec un paratexte (titre, quatrième de couverture) suggérant la thématique de la filiation, nous n'aurions peut-être pas pensé qu'ils étaient ainsi liés.

Rainer Maria Rilke
«Donnez-nous des maîtres qui célèbrent l'Ici-Bas», lettres à Emile Verhaeren suivies de Lettre d'un jeune travailleur
préface et notes de Stéphane Lambert
traduction de Gérard Pfister
Arfuyen
coll. «Neige»
2006
116 p.

Le plus intéressant dans ce rapprochement est sans aucun doute la confrontation de deux types d'écriture différents, ou plutôt l'engendrement de textes à partir de deux lieux d'écriture antinomiques : l'un (volontairement) extérieur à son sujet, l'autre généré par lui. Dans la première variation, même si le récit se passe en hôpital psychiatrique, la folie ne rend pas le texte malade (même si le sens de la fin nous échappe); dans le second, le dérèglement, le sexe emportent le texte dans ses zones insondables et le font naître à lui-même en le faisant passer de phrases de quelques mots à un flot de paroles de plusieurs pages. Le lecteur est entraîné avec lui, absorbé par lui et ne pas comprendre ne compte pas; l'expérience de lecture n'est pas dans la compréhension du texte mais dans ce qu'il fait vivre au corps et à l'esprit.