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Critiques de livres


La mise à l'écart de l'étranger. Centres fermés et expulsions
ouvrage collectif coordonné par Pierre-Arnaud Perrouty
Labor
coll. La Noria
2004
Publié à l'initiative du MRAX
208 p.

Les raisons d'une résistance

Si l'on suit un des mythes de notre siècle qui voudrait que le monde soit un village, il faudrait recon­naître que ses « quartiers sud sont plutôt mal en point » et qu'ils ressemblent fu­rieusement à des ghettos, comme le font remarquer deux des auteurs de ce livre. Des ghettos où s'entassent toujours plus nombreux les exclus des bienfaits d'un autre mythe contemporain : la prospé­rité promise de la mondialisation. Pros­périté bien précaire, que tentent de pro­téger à tout prix les « quartiers nord » par une politique de fermeture des fron­tières et d'expulsion des indésirables. De ceux dont « le seul tort est de nous rap­peler trop durement par leur présence l'incohérence de nos politiques migra­toires et l'immensité du décalage entre notre niveau de vie et le leur ». Le prix à payer est lourd pour ceux qui parviennent à franchir la forteresse et qui deviennent « prisonniers d'une guerre qui ne dit pas son nom », guerre contre l'immigration, contre les misé­rables, contre des personnes dont l'exis­tence même est niée, qui sont privées, comme le disait Hannah Arendt, « du droit d'avoir des droits », enfermées dans des camps pour étrangers, criminalisées, humiliées, assassinées lors d'ex­pulsions forcées ou par les frontières même qu'elles essayent désespérément de traverser... Il l'est également pour les sociétés — les nôtres — qui dévelop­pent et usent de tels mécanismes d'exclusion : « Qui disait que le traitement des minorités, des plus démunis et des plus marginalisés en dit long sur le degré de civilisation d'une époque ? » C'est un cri d'alarme qui est poussé tout au long de cet ouvrage, mais aussi un appel à retrouver une humanité malme­née. « .. .nous espérons inciter le lecteur à rejoindre ceux qui s'opposent au déni des droits de l'étranger, aux dérives policières, à l'arbitraire administratif, à la transfor­mation des travailleurs sociaux en agents d'expulsion, à la xénophobie rampante induite par le système, à une Europe pro­tégée par des barrières sécuritaires ». Les huit auteurs des articles ici rassem­blés mènent tous, autour de la question de la politique belge et européenne en­vers les étrangers, des activités de re­cherche et de militance. Parce qu'il est rare, comme le précise l'introduction, de s'intéresser à ces thématiques sans être amené à s'opposer concrètement aux pratiques et aux mesures iniques qu'on découvre alors. Ils sont juristes, assistants sociaux, sociologues, membres du MRAX1 de la Ligue des Droits de l'Homme.... Leur livre n'est pas destiné aux spécialistes, mais à un public le plus large possible, avec l'objectif de lui don­ner des clés d'information et de com­préhension sur la politique de « mise à l'écart de l'étranger » qui se renforce au sein des pays de l'Union Européenne, et sur ses enjeux. Les articles sont précis, documentés, rigoureux, et sont accom­pagnés de témoignages de personnes dé­tenues en centres fermés et victimes de tentatives d'expulsion. Ces récits rappel­lent que les catégories volontairement déshumanisantes des « clandestins », « sans papiers », « illégaux » tentent de cacher le visage et la souffrance d'êtres humains, et que « c'est le fait même de l'enfermement et de la déportation d'in­nocents qui s'avère insupportable pour leurs victimes. Et pour toute conscience avertie... »

Ce sont surtout les pratiques d'enferme­ment et d'éloignement de l'étranger qui sont décrites et analysées, tant en Bel­gique que dans l'Union européenne, où elles se généralisent et deviennent la clé de voûte de la politique commune d'immigration et d'asile. Politique basée sur les relations de domination exercée sur les pays dits pauvres, soumis à un chantage à l'aide au développement (as­sistance financière contre surveillance accrue des frontières et réadmission sans contestation des nationaux « illégaux »), ou à l'admission dans l'Union élargie en 2004 (un des critères d'adhésion était la capacité des candidats à préserver leurs frontières de « flux » d'immigration...). Le livre se conclut sur des exemples d'actes concrets de solidarité et de résis­tance, menés par toutes les franges de la population : les migrants eux-mêmes, des ONG, des personnes individuelles (voisins, parents de condisciples d'un enfant dont la famille est menacée d'ex­pulsion...) qui souvent se regroupent en collectifs ou comités de soutien, des parlementaires, parfois des membres du personnel de centres fermés, et d'autres professionnels confrontés aux expul­sions (pilotes d'avion, employés de CPAS...).

Il se ferme sur une ouverture : l'affirma­tion de la nécessité et de la légitimité de cette solidarité. « Nous pouvons agir, tous, là où nous nous trouvons et avec nos moyens. »

Laurence Vanpaeschen

1. Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie.