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Critiques de livres


Ghislain COTTON
La Muse du Café Rose
Lausanne
L'Âge d'homme
2001
171 p.

Suspense et sensibilité

On fait beaucoup de rencontres sin­gulières dans le roman noir de Ghislain Cotton au titre joliment trompeur : La muse du Café Rose. Comme si l'auteur (dont nous nous rappelons le trou­blant Za, son premier roman, paru voici bientôt vingt ans, et que suivraient long­temps après Les larmes d'Orbac et Korpanoff) se plaisait à brouiller les cartes, à emmêler les fils d'une intrigue plus psycho­logique que policière, même si elle s'ouvre par la découverte d'un noyé, un matin d'oc­tobre, sur la plage d'Ostende. Accident ? Suicide ? Le numéro de télé­phone déchiffré sur le billet de train resté dans la poche de Sauge Mérika est celui de l'ami intime de sa jeunesse, l'adolescent frère, Frédéric Moisson, plus connu désor­mais sous son nom de plume Frémois, et qui se retrouve pour cette raison — ou ce hasard ? — mêlé à l'enquête, alors que les deux inséparables du temps du collège ne s'étaient plus revus, par la suite, que de loin en loin.

Mais pourquoi le célèbre architecte Mérika aurait-il voulu mourir ? La question taraude Frédéric Moisson, écri­vain populaire sans illusions sur son œuvre ni sur sa vie, promenant sur le monde un regard attentif, curieux, narquois, plutôt économe de ses sentiments et de ses émo­tions, par nonchalance autant que par scep­ticisme, et qui venait de s'éloigner de son amie, histoire de mettre un peu son âme à la campagne.

Presque malgré lui, Frémois cherche à éluci­der le mystère. En chemin, il multiplie donc les rencontres surprenantes (presque trop !) : une équipe de jeunes cinéastes exubérants tournant leur premier film, parmi lesquels une petite Anglaise au cœur tendre et aux bras frais. Un inquiétant juge d'instruction, mêlant savamment les manières du notable et du flic, drapé dans une distinction de province qui sent le guéridon d'acajou et les deux doigts de sherry ! L'impérieuse fille du Comte des digues qui fut la dernière compagne du dis­paru, cette Noa au beau visage aigu de fauve, qui manie avec la même insolence la glace et le feu. Un jeune terroriste allemand, dont le jusqu'au-boutisme fiévreux a peut-être révélé à Mérika la mort qu'il portait en lui... Au large de ces personnages, en marge du jeu-duel avec Noa, Frémois interroge les images resurgies du fond de sa mémoire pour dresser un portrait sensible de son ami, marqué par l'orgueilleux refus d'un autre ordre que le sien, une manière princière d'ignorer l'édifiante épicerie de la vertu. Le portrait d'un homme solitaire, qui ex­cluait ces accommodements avec la médio­crité tranquille dont Frédéric Moisson a de­puis longtemps pris son parti... Et si c'étaient son visage, son histoire à lui qui s'élèvent lentement, cruellement, du brouil­lard sur la mer d'automne... Mais pourquoi ce titre à goût de bonbon pour un livre hanté par l'échec de vivre ? Tout simplement (?!) parce qu'ainsi s'inti­tule le dernier roman de Frémois. « Une sorte de roman policier », résume-t-il lui-même, faussement modeste. Mais qui séduit le jeune réalisateur exubérant, qui se verrait bien en tirer un film. Avec un autre titre, toutefois : plus court, plus percutant. « Enfin, vous voyez ce que je veux dire : suspense et sensibilité ». L'idée ne semblait pas déplaire à Frémois...

Francine Ghyse