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Critiques de livres


François EMMANUEL
La Passion Savinsen
Stock
1998
155 p.

L'empreinte du connu

Vous vous souvenez, ces visages rasés, hébétés, hagards des femmes allées avec l'ennemi comme l'éternité, c'est la mer allée avec le soleil. Le visage, le beau visage d'Emmanuelle Riva, ses boucles qui tombent, le crâne qui se dénude sous la coupe vengeresse... Alliances, mésalliances : il ne fait pas bon avoir trompé le vainqueur. Etait-ce Emmanuelle Riva ou bien... Ce sont ces images floues, ces contours imprécis d'une époque que je n'ai connue que par le cinéma ou la littérature qui resurgissent à la lecture de La Passion Savinsen de François Emmanuel. Nos enfances baignées par ces souvenirs de guerre, ces jeux dangereux res­sassés à l'infini par ceux qui les ont vécus, cette deuxième guerre mondiale transformée en films, en textes, en histoires répétées à l'envi.

Le château de Norhogne a vécu plus d'un drame ces derniers temps. Millie s'est suici­dée dans l'étang de l'ardoisière. Jacques de Morlaix est captif en Allemagne. Camille, la cadette, est à jamais différente, sauvage, in­domptable, ailleurs... Au terme de l'exode qui les jeta sur les routes, les rescapés ont retrouvé Norhogne éventré, sali, abîmé. Le vieux Tobias Savinsen a beau plonger sa petite fille Jeanne dans ses mémoires d'ex­plorateur bravant les tempêtes à l'orée du siècle, le présent les rattrape et va les plon­ger dans le chaos. Automne 1941, les sol­dats allemands s'installent en pays conquis. Réquisition : le château de Norhogne n'y échappe pas. Deux Citroën noires amènent les soldats qui vont occuper les lieux, lais­sant à la jeune fille de vingt ans qui monte seule la garde, la rage au cœur. Elle emmaillote, au cœur du bourrage de coton d'un oreiller, le revolver et les deux balles enveloppées de papier brun trouvés naguère sur le cadavre d'un jeune lieutenant français. Elle est prête à tout. Jeanne a vingt ans, le suicide de sa mère sur le cœur, la peur au ventre et la haine aussi. Et face à l'officier allemand, une fierté tou­chante. « Nous sommes ennemis, mon­sieur », quatre petits mots qui posent des barrières : elles ne suffiront plus bientôt à re­tarder ce trouble qui les rapproche irrémé­diablement.

Et dans cette passion interdite, la jeune comtesse va goûter des embrasements amou­reux identiques à ceux que sa mère connut jadis et, de ce fait, retrouver la sève de ses ra­cines...

La Passion Savinsen, c'est une histoire inti­miste, une alliance hésitante avec l'ennemi vécue de l'intérieur des sentiments. Une histoire qui renvoie à des refrains connus mais transcendés par leur intemporalité.

Nicole Widart