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Critiques de livres


Annie PREAUX
La petite fille aux pieds de fraise
Editions Labor
1996
158 p.

Conte de femme

Ce nouveau roman d'Annie Préaux s'ouvre sur (comme) un livre de contes, celui qui a marqué les pre­mières années d'Ariane, la femme rompue, avec les illustrations qu'elle copiait, les his­toires et les monstres horribles qui lui per­mettaient d'échapper à ce qu'elle appelle « la geôle de l'enfance ». Celui qu'elle ré­écrira, à sa manière, lorsque ses blessures se seront adoucies. C'est ainsi que La petite fille aux pieds de fraise se referme sur le pre­mier de ces contes — une histoire de prince et de princesse — comme si la « guérison » ne venait pas grâce au langage (comme en psychanalyse où le divan est aussi un lieu de contes, de conte de soi) mais se signifiait à travers les mots et leur agencement narratif. Ce mieux-être arrive après bien des épreuves de femme et un âge adulte com­mencé dans une vie presque conformiste, une vie d'aujourd'hui, dans le Sud, entre un homme (Mathieu) et un travail dans une agence de publicité. Mais un jour cette vie se brise, une autre commence, se construit sur les morceaux cassés et le nœud du secret qui tenait prisonnier peut enfin se dénouer. Ce secret si dérisoire, si essentiel, ce secret fondateur qui a lié Ariane à sa mère sans lui permettre de prendre son envol. Après sa révélation, elle qui ne désirait pas d'enfant — c'est d'ailleurs pourquoi Mathieu l'a quittée pour une autre femme — en veut un. De Jean, l'homme qui habite près de chez sa mère, dans le Nord. L'homme dont elle a reçu un appel et qui l'attendait, une bougie à la fenêtre. L'homme qui vit retiré, après s'être trop dépensé pour les signes ex­térieurs de richesse, après avoir perdu son épouse et son fils dans un accident survenu en Porsche. Ce bébé enfin et tant voulu, Ariane le perdra ainsi que toute possibilité de fécondité. Cette stérilité-à-tout-jamais la pousse — obstinément — à peindre des tableaux représentant des pierres, à redes­cendre en Provence, le temps d'un été, re­joindre Lise la conteuse avec qui elle a vécu, en pleine jeunesse, des moments heureux, libres, hippies. Sur le trajet qui l'emmène vers le Sud, elle se réconcilie définitivement avec elle-même. C'est près de son amie re­trouvée qu'elle commence à écrire des contes, palimpsestes de ceux de son en­fance, enfance enfin libérée.

Michel Zumkir