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Critiques de livres


Jean-Baptiste BARONIAN
L'Apocalypse blanche
éditions Métailié
Paris
2000
169 p.

La neige était bien sale

Glauque. Plus glauque que ça, tu meurs. L'Apocalypse blanche de Jean-Baptiste Baronian, parue aux édi­tions Métallié, c'est une histoire qui ne quitte jamais ce moment glauque d'avant la neige, là où la lumière tombe, devient verdâtre, grisâtre, là où la grisaille s'opacifie et permet toutes les frayeurs et les crimes aussi. Pour Hoffman, son héros, la suite est pire. Il souffre de la maladie de la neige. Insensible aux beautés du fameux manteau blanc qui re­couvre toutes les petites crasses quotidiennes, il a la chair de poule, grelotte, vit un véritable martyre, sombre dans la dépression. La neige, ce n'est pas la lumière joyeuse et les bonheurs des bonhommes de neige au nez de carotte, les batailles rangées entre des gosses hilares : la neige, c'est la crève et la dépression. Il faut dire que, même sans sa maladie de la neige, Hoffman, le flic quitté par sa femme Clotilde, le flic cocufié par Jean Verkade, son meilleur ami, le flic mis au placard par le Vieux, Hoffman le héros ne bénéficie pas d'une vie de rêve. Pas de paillettes ni de strass pour Hoffman. Les héros sont très, très, très fatigués. Et c'est dans cette lueur glauque, dans cet état de délabrement physique et mental que lui échoit l'Affaire. Rien du tout, a priori. La nièce du Vieux a disparu. Une fugue, une histoire d'amour adolescente ? Ou un rapt crapuleux à moins qu'il s'agisse d'une nouvelle victime des sectes tentaculaires? Dur, dur d'être policier, d'enquêter sur cette histoire floue, dans le plus grand se­cret. « L'enquête risque d'être embarras­sante... Tout ce climat détestable qui règne chez nous, les bavures répétées des forces de l'ordre, les tensions internes, les affaires dé­plorables de prostitution enfantine... »

Oui, on est bien en Belgique. On parcourt Bruxelles, gare centrale, galerie Agora, parvis Saint-Henri, métro Montgomery, place Sainte-Catherine. La neige sale rend tout plus difficile, bien plus difficile. Elle envahit tout, Hoffmann est transi, glacé, statufié. Un flic de cinquante ans qu'on a laissé croupir dans un bureau sans la moindre af­faire intéressante. En prise avec un patron fana des belgicismes, qui passe son énergie à repérer toutes les fautes de langue, à en dé­monter le mécanisme, à se gausser de vous. Et le jour où l'apocalypse blanche ôte à notre flic les moyens qui lui restent, le voilà aux prises avec l'affaire la plus difficile de sa carrière. Talonné par son patron qui ne lui passera aucune erreur. Titillé par le charme fragile d'Aurore Vanderlo qui n'accepte aucun manquement de l'enquêteur censé recherché sa fille disparue. Lui à qui le nom de Nijinski ne dit strictement rien, va en­quêter dans l'école d'un ex-danseur de Béjart : une fois de plus, il est confronté à son inculture. Pourchassé, poursuivi, alors qu'il voudrait tant rester au chaud dans sa tanière comme l'animal blessé qu'il est, le voilà contraint à parcourir les rues glacées, le voilà parti à la chasse aux témoignages. L'intrigue est mince, la solution du rébus un peu rapide, mais ce qui intéresse Baro­nian, c'est de sonder l'âme de son person­nage. Et là, on est gâté. Baronian sait tout de Hoffman, de sa vie terne de flic sans en­vergure du commissariat central. Et dans la Belgique d'aujourd'hui, la description des états d'âme d'un flic en train de rater sinon son enquête, du moins sa vie risque de ne pas rater pas sa cible.

Nicole Widart