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Critiques de livres


Alain Berenboom
La Table de riz
Ed. Le Cri
1992
219 p.

Rizière céleste

Aux esprits grincheux qui repro­chaient à Biaise Cendrars de n'avoir pas réellement parcouru la Mandchourie et, quelle audace, d'avoir malgré tout écrit la Prose du transsibérien, Pascal Pia coupait la tête sans délai : la qualité d'un poème, disait-il en substance, n'exige pas le certificat d'origine dont ont besoin le roquefort ou le mouton-rothschild. C'est aussi ce qu'a pensé Alain Berenboom qui, sans quitter son fauteuil à la Cinémathèque, ni sa robe d'avocat, invite ses lecteurs -déjà nombreux depuis la parution de La position du missionnaire roux — à sa Table de riz. Le riz à la cantonaise, les beignets de crevettes, le thé aux épices, en l'occurrence, il ne les connaît, comme la plupart d'entre nous, qu'au travers des restaurants asiatiques de nos cités. Mais son voyage imaginaire en Chine, au pays du Lotus bleu », ne manque pas de sauce aigre-douce. Le récit semble d'ailleurs tout droit sorti de l'imagination, que l'on sait fertile, des conteurs orientaux. Mais il y est surtout question de cet art que l'on dit septième, et qui, tant pour le cinéphile averti qu'est Berenboom, que pour son héroïne, la charmante Naï Min Ho, a la couleur d'un bon vieux burlesque. Comme le disait un autre sage, - l'humour est une façon de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaire ». La Chine de Berenboom est donc celle de l'après Tien An Men. Les longues discus­sions, matières à d'improbables scénarios, auxquelles s'adonnent la  « Miss » Naï et ses camarades ont pour objet le cinéma. Celui qu'on enseigne à la lumière, vacillante ou éblouissante selon les périodes idéolo­giques, des préceptes du Grand Timonier et de ses successeurs. Mais également celui qui filtre au travers des persiennes occidentales, et particulièrement le ciné hollywoodien. Le contrechamp dans ce scénario chinois vient, lui. d'une cinéaste française. Elle présente ses films, dont le dernier porte précisément... sur la Bel­gique ! Elle est aussi celle à qui s'adresse le narrateur, lorsqu'il entreprend de lui raconter les aventures tragi-comiques de la « Miss -. Enfin, autre élément signifiant, la figure de Joseph Plateau — mais oui, l'histoire de la rétine — hante le livre de page en page. Bien que - coincé dans son idéologie individualiste », il est un peu l'éternel accessoiriste de ce plateau de cinéma.

L'auteur a pris plaisir à additionner les plats sur la Table, parfois trop, et trop vite : on n'a que le temps de s'en chatouiller les na­rines, et déjà voici le prochain service. Mais il a su alterner la transparence des choses et l'apparence des êtres, en un mystérieux et parfumé équilibre où l'on devine le savoir-faire du chef. La table de riz reste suspen­due entre légèreté et gravité, ce qui lui donne toute sa saveur.

Alain DELAUNOIS