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Critiques de livres

De la fourrure et des larmes.

L’éditeur Didier Devillez poursuit la réimpression à l'identique des nom­breuses publications qui ont jalonné l'activité surréaliste en Belgique. Les deux titres admirables qui viennent de revoir le jour permettent à nouveau de faire le point sur l'état d'esprit surréaliste au moment même où est exposée la part la plus specta­culaire du legs qu'Irène Hamoir a fait à nos musées.

Irène et Scut font précisément partie des auteurs qu'avait rassemblés Marcel Mariën, en 1945, dans La Terre n'est pas une vallée de larmes, le premier livre à retenir notre at­tention, où l'on dénombre vingt et une si­gnatures. Par son caractère collectif que souligne le graphisme de sa couverture, l'ouvrage se signale comme s'il était une revue. D'autres indices renforcent cette hy­pothèse, notamment le projet que parta­geaient Mariën et Dotremont de faire pa­raître, dès 1943, L'Armoire, mais surtout le fait que La Terre aurait dû se poursuivre avec le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui. S'il n'en a rien été, c'est du fait de l'opposi­tion idéologique et des inimitiés chroniques d'André Breton dont l'omnipotence conti­nue de peser trente ans après sa mort et cin­quante ans après sa fin de non-recevoir. Dans sa préface à la réédition de La Terre n'est pas une vallée de larmes, Xavier Canonne observe qu'avec un tel intitulé, Ma­riën faisait un sort à l'un des stéréotypes les plus éculés d'une vision toute judéo-chré­tienne du monde et de son destin (la phrase ainsi « reprise » provenant de la Bible, et plus particulièrement des Psaumes). Pour faire bonne mesure, Canonne rappelle qu'en revanche, toujours selon Mariën, « la Terre est une vallée de lieux communs ». Et c'est sans doute pour remédier à cet état de choses que l'on trouve dans la Terre des textes exceptionnels, comme ces Notes de zoologie où Lewis Caroll crée de nouvelles espèces pour notre plus grand ravissement, des « pixies » au « poissonx ». C'est également dans la Terre que Louis Scutenaire livre les premiers extraits de sa monographie sur René Magritte, texte ma­jeur accompagné d'illustrations dont nous ne savons pas si Scut et Mag avaient appris qu'elles concernaient certaines toiles parties en fumée dans les bombardements de Londres, quatre ans auparavant. Dix-huit années plus tôt, en 1927, paraissait un prospectus où la Maison Ch. Muller et S. Samuel présentait « quelques manteaux (de fourrure) ». Paul Nougé écrivit les textes qui allaient figurer en regard des composi­tions réalisées par Magritte pour ce qui s'ap­pelle désormais Le Catalogue Samuel. Qu'un écrivain prête sa plume pour « ha­biller » les images d'une collection de vête­ments, la chose s'était déjà vue avec Mal­larmé qui avait écrit la Dernière Mode. Et, voici une dizaine d'années, Philippe Sollers commettait — dans Marie-Claire — une petite prose pour un tailleur de Georges Rech. Mais, c'est à la faveur de ce Catalogue que Nougé aura des paroles définitives sur la difficulté de choisir, un manteau comme un chemin de vie, à chacun selon ses moyens. Et c'est aussi Scutenaire que Tom Gutt cite en exergue à la préface qu'il consacre à la réédition du Catalogue Samuel Une préface ? A vrai dire, Gutt nous livre une lecture extrêmement fouillée, ramifiée même, sur les circonstances de la parution originale du Catalogue, pour constater non sans cynisme que si « l'édition de 1927 n'était pas à vendre, celle de 1996, si ». Mais qu'est-ce qui fait alors, aujourd'hui, le prix du Catalogue Samuel ? Le degré de rareté de l'original, le texte de Nougé, les col­lages de Magritte, l'ensemble de ces trois éléments ? Pas le prétexte en tout cas, voué aux gémonies par les militants écologistes et les tops models en mal de bonne conscience. Gutt partage avec Nougé le même mépris pour l'imposture littéraire et artistique. D'où ce ton volontiers polémique qui fait son entrée en matière engagée, là où d'autres ne verront que sentences et me­naces. Enfin, si Francis Ponge comparait Nougé à une sorte de quartz, Gutt y voit le diamant absolu, cette pierre dont nous dirons qu'elle est la transparence indurée.

Philippe Dewolf

La Terre n'est pas une vallée de larmes, ou­vrage collectif dirigé par M.MARIËN, préface de X. Canonne, chez Didier De­villez, coll. « Fac-similé », 1996, 60 p.

R. MAGRITTE, P. NOUGÉ, Le Catalogue Samuel, préface de Tom Gutt, chez Didier De­villez, coll. « Fac-similé », 1996, 70 p.