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Critiques de livres


Michel LAMBERT
La troisième marche
Éditions du Rocher
coll. Nouvelle
1999
81 p.

De bonnes nouvelles

Alors que, quand il est plongé dans un recueil de poèmes, le lecteur s'ar­rête, relit plusieurs fois les passages les plus touchants, ou éprouve le besoin de les lire à la personne qu'il aime, les recueils de nouvelles, souvent trop disparates, le voient glisser d'un texte à l'autre sans s'y en­foncer. À peine est-il entré dans une his­toire, qu'il doit déjà s'intéresser à une autre. Et pourtant il est possible de créer une épaisseur dans ce genre imprécis, comme le prouvent les publications récentes de Michel Lambert et de Denys-Louis Colaux. Prix Rossel en 1988 pour son premier roman Une vie d'oiseau, Michel Lambert est devenu depuis lors un défenseur de la nou­velle : il en a publié trois recueils et il est un des fondateurs du prix Renaissance de la Nouvelle. La troisième marche, le récit de 80 pages qui vient de paraître au Éditions du Rocher fait partie de la collection « Nou­velle » — au singulier, c'est-à-dire que le livre ne contient chaque fois qu'un seul texte court. Ainsi est évitée l'accumulation des textes épars. Mais vers quel palier conduit cette Troisième marche ? Il s'agit de l'histoire d'un peintre qui décide de passer quelques jours avec sa vieille mère. On ignore quelle est la maladie dont souffre celle-ci, mais on sait que sa vie touche à sa fin et l'on s'aper­çoit qu'elle passe sans transition d'une luci­dité amère à des phases d'oubli. La cohabita­tion est douloureuse pour le fils comme pour la mère, tous deux étant incapables de se comprendre et de s'entendre : l'immi­nence de la mort ne parvient pas à effacer ce qui les sépare depuis trop longtemps.


Denys-Louis COLAUX
Schlass
Les Éperonniers
coll. Maintenant plus que jamais
1999
255 p.

Ce­pendant, pour le fils, la rencontre ne sert pas seulement à renouer des fils coupés depuis longtemps, il espère apprendre la vérité à propos d'une tierce personne : le père. Peut-être n'arrivera-t-il pas à arracher à sa mère l'aveu attendu, mais cela ne l'empêchera pas de découvrir en chemin d'autres vérités, sur lui-même et sur son art. Michel Lambert disposait là assurément d'assez de matière pour écrire un roman. Mais il a préféré aller droit au but, placer le lecteur directement au cœur des sentiments de ses personnages et s'interrompre quand tout était dit. Pas de personnages secon­daires, pas de détour. Ce qui semblait exté­rieur à la relation au début du récit (la pein­ture) finit, comme dans un puzzle existentiel, par trouver une place et par s'avérer néces­saire. Ainsi Michel Lambert a-t-il écrit un récit simple et juste, sincère et émouvant. Denys-Louis Colaux, quant à lui, a d'abord été connu comme poète (il compte sept re­cueils à son actif). Mais il a fait paraître l'an dernier un premier roman, Le fils du soir, aux Éperonniers et publie aujourd'hui chez le même éditeur Schlass, un recueil de nou­velles. En outre, il compte parmi les fonda­teurs de la revue Le Fram et il vient de rem­porter le prix de la Communauté Française du concours de nouvelles de la Fureur de lire.

Schlass est un recueil de neuf textes s'addi­tionnant parfaitement au point de créer un ensemble cohérent. L'auteur déclare d'ail­leurs au dos du livre avoir voulu écrire « une comédie humaine de poche». Pourtant, la grande unité du recueil ne doit pas grand chose à Balzac : il n'est pas question ici de recréer une société entière en superposant ses différentes strates de texte en texte. Il s'agit plutôt d'une galerie de portraits mas­culins qui se répondent de deux façons. D'abord au niveau du thème : chacun d'eux traite des rapports entre l'homme et la femme. Ensuite, par les vertus du style.

Le thème des rapports entre l'homme et la femme est abordé chaque fois de manière très différente : observation réciproque, nuit d'amour, regard de l'élève sur son pro­fesseur qui s'emporte, brutalité de celui qui défend sa bien aimée, déception, deuil, ren­contres. Tous les personnages parlent à la première personne, sauf un : et il est sans doute significatif que seul celui-là soit clai­rement misogyne. Les autres oscillent entre la démystification de la femme et la ten­dresse. Ils découvrent que celle-ci n'est après tout qu'un être de chair imparfait, mais cette découverte, loin d'entraîner une déception, les fait aimer davantage. Ainsi, nombre de descriptions cruelles se transfor­ment en déclaration d'affection. La nou­velle la plus exemplaire à cet égard s'appelle «Le fossoyeur». Une belle jeune fille éthérée et gracieuse vient à mourir trop tôt en plein été et sa dépouille, sous la tombe, dé­gage une odeur si violente que tout le monde la fuit, sauf le fossoyeur que cette pestilence inconvenante émeut au dernier degré.

Enfin, dans ce recueil, le style joue un très grand rôle. Le ton adopté par Denys-Louis Colaux ici n'a rien à voir avec celui de ses poèmes et si je devais le qualifier en un mot, je dirais qu'il est célinien. Célinien parce qu'il adopte certains tours oraux que réprouverait Grevisse («Où qu'elles sont») et parce qu'il n'a pas peur des répétitions de mots ou de structures qui feraient crier un classique. Célinienne aussi l'amplitude du texte qui n'hésite pas à multiplier les méta­phores pour désigner une seule réalité (par exemple les sensations de l'amour). Céli­nienne la richesse incroyable du vocabu­laire. Mais, alors que le vieil antisémite de Meudon excellait dans l'expression de la haine ou dans la peinture de la misère, Colaux détourne au dernier moment ce que sa verve pourrait avoir de dévastateur pour laisser une place à la tendresse et à la paix. Par ailleurs, à ce style est lié le rythme du texte : durant plusieurs pages, l'accumula­tion des métaphores ralentit le récit puis, soudain, une chute éclaire la situation dé­crite ou permet d'en sortir. Et ce rythme-là, seules des nouvelles pouvaient l'épouser d'aussi près.

Laurent Demoulin