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Critiques de livres


Liliane GUISSET
L'autre tambour
l'Harmattan
Paris
1999
130 p.

La chose et la bouteille

C’est en force que Liliane Guisset vient d'entrer dans la littérature. En force d'abord parce qu'à peine arrivée et la voilà déjà primée : son roman, In vino, a remporté la première édi­tion d'un concours réservé à des tapuscrits, le concours Page d'Or, offrant à son lauréat une double récompense : 100 000 francs et la publication aux éditions Luce Wilquin. En force parce qu'elle se présente presque d'emblée avec deux livres : un récit, L'autre tambour, paru à l'Harmattan et In vino, qui est déjà dans les librairies. En force enfin et surtout par le contenu de ces deux livres, qui vont l'un et l'autre jusqu'au bout d'une logique douloureuse et exigeante. Dans L'autre tambour, une femme s'inter­roge sur le mal dont elle souffre et qu'elle nomme « la chose ». Au début, plusieurs passages mettent en scène la narratrice en proie à une violente angoisse. Ecrits sous la forme de monologues intérieurs, ces pas­sages sont vraiment saisissants : le lecteur ressent le malaise physique qui s'empare de la narratrice dans le bus ou en faisant la file à la pharmacie. Par la suite, le destin de l'héroïne est résumé à quelques grandes étapes et le texte se consacre de plus en plus à une réflexion existentielle. C'est que cette « chose » n'est plus seulement une ennemie, elle devient, petit à petit, partie intégrante de la personne et, par défaut, elle la pousse à vivre de façon extrêmement intense. Car la narratrice ne parvient à s'en libérer que dans l'excès de la colère ou en multipliant les conquêtes et les amants.


Liliane GUISSET
In vino
éditions Luce Wilquin
2000
200 p.

Sa vie s'écrira par conséquent longtemps dans « l'espace clandestin »... Jusqu'au jour où, en même temps, elle rencontre enfin l'amour et perd sa mère. La chose en profite pour revenir au galop. Cette fois, elle prend une apparence claire : elle se traduit par une peur perma­nente de la mort qui gâche toutes les joies de l'existence. Mais la narratrice refuse de se dire malade. C'est le monde, à ses yeux, qui devrait se faire soigner. Si les autres suppor­tent le néant, c'est parce qu'ils manquent de lucidité.

Oserions-nous une interprétation ? Peut-être la chose dont souffre la narratrice de L'autre tambour correspond-elle à ce qui s'appelait jadis la spiritualité. Bien qu'elle ne croie à aucune survie après la mort et qu'elle soit résolument athée, la narratrice avoue : « Je voudrais me rendre aux Écri­tures, chercher Dieu et le trouver... Trou­ver le sens de l'insensé. » Dans un monde centré sur la religion, l'héroïne de Liliane Guisset aurait probablement été une grande mystique, mais puisqu'aucune foi ne lui permet de donner un sens rassurant et hy­pocrite à sa conscience exacerbée de la mort, il ne lui reste que l'angoisse. Dans ce premier livre, Liliane Guisset passe d'un phrasé court et simple à des déluges de métaphores, de fulgurances, de jeux de mots ou de phrases célèbres déviées (« Schi­zophrénie fatale ; je pense donc je som­mes. »). In Vino développe ce second aspect du style de Liliane Guisset, en le renforçant encore par la création de nombreux néologismes. Quant au contenu, il existe au moins deux points communs entre la narratrice de L'autre tambour et Tibor Pichler, le narra­teur d’In vino : tous deux sont des musi­ciens qui n'ont pas fait carrière, tous deux revendiquent leurs différences. En outre, deux thèmes secondaires du récit devien­nent prépondérants dans le roman : l'alcool et la sexualité. Tibor Pichler est un alcoo­lique sans remords. S'il arrête parfois de boire, c'est par jeu, pour mesurer les effets de l'abstinence, mais pas par repentance. Il sait que l'alcool lui fait porter un masque, mais il comprend que sous le masque se trouve un autre masque. L'alcool est donc peut-être sa vérité : « Je bois pour être », dé­clare-t-il.
Tibor vit seul, mais plusieurs femmes occu­pent une place importante dans sa vie : Solange qu'il a aimée jadis, mais qui lui ressemble trop, Lara, une prostituée majes­tueuse et Elise, son grand amour qui est, hélas ! La femme de son frère. Il se refuse à la première, est pris d'un vertige existentiel de­vant la vitrine de la seconde et est repoussé par la troisième. Son rapport au monde fémi­nin est donc plutôt problématique. Cepen­dant, il se refuse à établir un lien entre ses difficultés amoureuses et l'alcool. Comme la narratrice de L'autre tambour, il choisit d'as­sumer pleinement son mode de vie. Ce sont donc deux personnages extrêmes, deux enne­mis des compromis auxquels Liliane Guisset a donné vie avec une grande conviction.

Laurent Demoulin