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Critiques de livres


Dominique LOREAU
L'eau du bain
Esperluète Éditions
2004
Illustré par LOUSTAL
65 p.

Prendre le thé à toute heure

Onze nouvelles pour tout dire, c'est peu. Onze nouvelles à com­prendre, c'est beaucoup. Cha­cune a son mystère, en effet. Parfois, on se dit, en lisant les textes de L’eau du bain, ce n'est qu'une plaisanterie, c'est léger, sans conséquence. Et puis la jeune fille est avalée par le tigre, le bébé a dis­paru avec l'eau du bain et le rire tourne court, l'effroi s'installe. Ou le baroque l'emporte, brouillant toute frontière entre le réalisme et la plus débridée des fantai­sies, comme dans cette traversée du désert en chapeaux que raconte à bride abattue le dernier texte du recueil, avec, au passage, un clin d'œil lointain à l'inoubliable casquette liminaire de Charbovari. Qu'y a-t-il là derrière ? Le frisson du charme, les délices de la transgression. Faut-il sou­rire ou pleurer ? Le mode d'emploi s'est envolé, il ne reste qu'à se laisser porter par la vague. Le lecteur peut ainsi, sans dom­mage, retrouver les peurs de son enfance, peurs du vide, d'un enlèvement, des bêtes sauvages, d'une ombre inconnue, de l'eau, du noir, et s'en moquer douce­ment. Il peut encore se venger impuné­ment des convenances, se débarrasser des fâcheux, agresser les moulins à vent. Bref, se livrer tout entier à la fantaisie du mo­ment, comme on lit un poème. C'est bien le propre de la nouvelle que cultive à fond Dominique Loreau dans son petit volume : ni trop ni trop peu. Un récit s'ébauche, vous allez vous y laisser pren­dre, et puis d'un seul geste il rompt le cours trop prévisible de ce qui deviendrait une histoire banale, sans le léger coup de théâtre d'une fin prématurée autant qu'inattendue : c'est une sorte d'envoi, de dédicace discrète. La débrouille, c'est alors de vous croire averti et de repartir fort de votre expérience vers la prochaine aventure. Peine perdue, il faut tout re­commencer : le ton a changé, la ren­contre est nouvelle, toute prévision est anéantie, partie... avec l'eau du bain. Mais l'exercice est vivifiant car on peut le diversifier à l'infini. Voici en effet un livre qu'on peut commencer n'importe où, lire du début à la fin ou de la fin au début. À moins que pour faire durer le plaisir, on n'en lise qu'un morceau à la fois, un par jour, un par soir, par exemple, quand on veut prolonger l'heure d'entre deux. Ou encore que l'on cherche à recoller les mots de Dominique Loreau au dessin de Loustal, sauf si on préfère la démarche in­verse. En toute liberté car nul n'est con­traint à parfaire le puzzle.

Jeannine Paque