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Critiques de livres


Alain BERTRAND
Monsieur Blanche
Bordeaux
Le Castor Astral
2004
231 p.

Vous avez dit baroque ?

Deux romans d'Alain Bertrand vien­nent de paraître en quelques mois : Le Bar des hirondelles en automne, Monsieur Blanche en hiver. Si ces sorties doivent laisser indifférents les amateurs de littérature minimaliste, réaliste, d'écriture blanche, elles doivent réjouir les passionnés d'illusions, d'artifices, de métaphores, de déguisements et autres folies baroques. D'autant que ces deux romans sont particu­lièrement réussis, même si on avoue une pe­tite préférence pour Monsieur Blanche, dont la narration est un peu plus limpide que celle du Bar des hirondelles, où l'on se perd parfois dans les tours et détours de certaines métaphores.

Dans le premier roman cité, on suit les aventures d'Arsène Belge, un quinquagé­naire ancien coureur cycliste, obsédé de Tour de France, qui rêve de rencontrer une serveuse de bar et qui, suite à un accident de vélo, se retrouve, entre la vie et la mort, sur la péniche de Mandragore, magicien, propriétaire d'une photo avec une fille telle qu'en fantasme Arsène (qui est-elle ? com­ment la rencontrer ? autant de questions qui trouveront des réponses inattendues dans ce livre) et inventeur d'un numéro ap­pelé « Retour du royaume des morts ». Pour le plaisir du lecteur, le jeu est brouillé, on ne sait pas toujours qui est de ce monde et qui est de l'autre, qui est qui sous le masque et qui fait quoi ; ce dont on est sûr par contre c'est qu'autant Arsène rêve de trou­ver la serveuse de sa vie, autant Mandragore fuit une dame autrefois cantatrice, autrefois sa maîtresse, et qu'ensemble ils détalent de­vant les frères d'Arsène, les frères Belge, amateurs de bière évidemment.


Alain BERTRAND
Le Bar des hirondelles
Bruxelles
Labor
2003
152 p.

Remarquons que même si les aventures des deux compères peuvent décoiffer, la course pour­suite ne va pas très vite, aurait même ten­dance à faire du surplace puisqu'ils décam­pent à bord d'une péniche. Dans Monsieur Blanche, c'est à bord d'un autre moyen de transport tout aussi lent qu'on prend la fuite : une montgolfière. Y sont embarqués deux des personnages clefs de la petite place de Sienne (place en péri­phérie d'une ville de notre royaume), Ju­liette et Monsieur Blanche, le bien nommé. Bien nommé parce que sans prénom, sans père, sans presque rien dans le pantalon (ses condisciples de classe n'y ont même pas vu une virgule), bien nommé parce qu'il ne cherche qu'à se fondre, à disparaître, à être le plus médiocre possible. Paradoxalement, il est le personnage de ce livre qui existe le plus, celui qui ne se contente pas de chi­mères, à l'inverse de sa mère par exemple, grosse dame collectionneuse de boîtes de biscuits à l'effigie de nos différents souve­rains : ces effigies deviennent ses interlocu­trices et peuvent prendre vie (mais qui, dans le quartier, se cache sous les traits du régent Charles ?). En tous les cas, dans ce roman, véritable quête identitaire, amoureuse, bur­lesque et haute en couleurs, Monsieur Blan­che trouvera la certitude de sa filiation, l'amour et une place au soleil. Parmi les autres personnages typiques, on compte Lila, épicière à plusieurs prétendants, un bouquiniste homosexuel, les tenanciers du « Rendez-vous des Ecuyers » (les bars des livres d'Alain Bertrand sont des lieux de convivialité, de complot, de fête, de paris, de socialité, des lieux où l'alcool coule à flot), un notaire véreux qui tient enfermée Juliette, riche orpheline, amoureuse de Monsieur Blanche, bien d'autres encore... Autant que pour la richesse de ces person­nages d'une autre époque et d'une autre Belgique, les romans d'Alain Bertrand valent pour leur écriture. Une écriture qui, soit dit en passant, n'a rien à voir avec celle de Si­menon dont il est un des spécialistes recon­nus (il a notamment publié une étude sur Maigret aux éditions Labor). En effet, si cer­tains prétendent encore que Simenon, et ce malgré sa pléiadisation, écrivait mal, Alain Bertrand est de toute évidence un styliste hors pair. Presque jamais de degré zéro dans ses phrases, mais des figures de style à foi­son, des métaphores qui se développent quelquefois tout au long d'un paragraphe, au point que ledit paragraphe se met à ra­conter deux histoires à la fois. Certains pré­tendront à la gratuité de l'exercice, mais comme c'est exactement ce qu'on reproche habituellement aux grands baroqueux, Alain Bertrand ne peut prendre cela que pour un compliment. Santé !

Michel Zumkir