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Critiques de livres


Michelle FOUREZ
Le chant aveugle
Luce Wilquin
1995
112 p.

Passion pas si simple

Il y a trois ans sortait Passion simple d'Annie Ernaux, un texte de 77 pages que l'on aurait pu croire de rien du tout et qui allait pourtant marquer nombre de ses lecteurs. L'écrivaine y exposait une période de sa vie rythmée par la présence et l'absence de l'homme aimé. La banalité ap­parente de l'expérience et la simplicité de son récit rendaient le livre unique. Il ne laissa personne indifférent. Et encore au­jourd'hui, il provoque des réactions. Et des livres. Ainsi, Madame c'est à vous que j'écris, la réponse d'Alain Gérard, l'amant de l'œuvre et de la vie qui a voulu retoucher le portait dressé par Annie Ernaux, donner sa vision de la relation et offrir le point de vue masculin en contre-pied à ces romans qui ne voient l'amour que du côté féminin. Ainsi, Le chant aveugle de Michelle Fourez à qui Passion simple semble avoir donné l'im­pulsion d'écriture : « Elle achevait la lecture d'un livre bref. L'histoire d'une femme qui pendant quelques mois n'avait vécu que dans l'attente de son amant. Elle posa le livre de l'autre femme, regarda l'heure et s'assit pour l'attendre. Le livre de l'autre femme lui semblait fort, et dérisoire. Fort, car le ton y était juste. Dérisoire, car son at­tente à elle durait depuis près de dix ans. » Sans que la passion ne s'éteigne. Toujours ravivée (et d'autant plus) quand elle arrive presque à être réduite en cendres. A cause de lui (l'avocat, l'amant, il). A cause d'elle (Marthe). Qui pourtant essaient que tout s'anéantisse. Qui pourtant luttent. Dans une histoire sans magie comme il en existe tant, depuis la nuit des temps : une femme aime un homme qui sûrement l'aime mais qui est marié. Qui jamais ne divorcera. Et qui en plus : a d'autres maîtresses qui lui prennent une grande partie de son temps ; ne veut absolument pas modifier son mode d'amour ; ne lui offre des cadeaux que de médiocre valeur et des instants à deux écourtés. Cependant, quand cet amour glisse vers sa fin, l'amertume s'installe, le gâchis devient trop visible. Pour tenter l'oubli total, elle part en Amérique du Sud rejoindre des amis, elle y rencontrera un autre homme, qu'elle ne saura pas aimer. A son retour, dès le plus petit appel, tout est là, comme avant, comme si le désamour ne s'était jamais mis en branle : « Tout à coup, on l'appela. Fut-elle seulement étonnée ? (...) Elle n'avait rien oublié de la soie de ses doigts, ni du goût de la sueur sur sa peau. » Ainsi finit le livre et continue l'amour. Qui pourtant a dû subir la trahison, la Déconve­nue. Cette déconvenue avec majuscule que nous n'expliquerons pas et qui est devenue l'axe du quotidien de Marthe. Autour du­quel tout tourne : les choses de la vie et les chansons d'amour. Ces petites chansons de variété si désuettes qui tout à coup disent toute la vérité. Rien que la vérité. On le jure.

Michel Zumkir