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Critiques de livres


Yves BOSSUT
L'Ecole dans la ville
Ercée
62 p.

Et Dieu créa l'adolescence

PEINTRE ET ARCHITECTE, Yves Bossut brosse, avec L'Ecole dans la ville, un tableautin tout en demi-teintes de ses souvenirs d'école. Sans doute élèves -voire professeurs - qui fréquentèrent l'athénée Robert Catteau à Bruxelles dans les années cinquante se reconnaîtront-ils dans ses personnages. Mais, plus encore que les anecdotes plaisantes, ce qui séduit ici. c'est la qualité de l'évocation où l'humour voile constamment une sourde nostalgie. Car le récit est à l'image même de ce qu'il nous conte : sous l'espièglerie des potaches se cache toute l'ambiguïté de l'adolescence, avec ses gauches timidités et ses audaces dévastatrices. Thème universel, éculé, dira-t-on. Oui, mais voici que l’œil du peintre se fait poétique : apprendre le monde, c'est aussi découvrir la multiplicité joyeuse de ses couleurs. A la monotonie de l'école, décor en grisaille, répond la fresque colorée de la ville alentour, de la vie en somme ("Tintin ! cette crasse ! Des couleurs, toujours des couleurs" lance un jour un professeur). Entre ces deux univers, l'adolescent ouvre des brèches, par le rire, la complicité, la transgression. Avec l'émer­gence inéluctable du monde extérieur viendront les premières fulgurances : l'éclat d'une jeune fille entr'aperçue dans le tram, le tournoiement d'une robe balancée au rythme d'Elvis Presley, la rutilante car­rosserie d'une Plymouth et les reflets gri­sants du cinéma où "Dieu créa la femme". Et c'est le souvenir encore vivant de cette entrée émerveillée dans le grand paysage de la liberté adulte qui adoucira le goût amer des désenchantements ultérieurs.

Dominique CRAHAY