pdl

Critiques de livres


Jean-Marc DEFAYS
Le comique
Seuil
coll. Mémo
1996
94 p.

Le comique dans tous ses états

Les interrogations les plus naïves sont les plus redoutables. Pourquoi fait-il noir la nuit ? Pourquoi et comment rit-on ? Qu'est-ce que le comique ? Excepté pour le noir de la nuit, Jean-Marc Defays — qui a déjà publié Raymond Devos chez Labor et Alphonse Allais chez Max Niemeyer entreprend de répondre à ces questions. La fonction du comique a été étudiée depuis l'Antiquité et les opinions ont considérable­ment divergé. Le XXe siècle inaugure des approches plus « techniques » des procédés comiques, qu'elles soient anthropologiques, psychologiques (par exemple, les méca­nismes mis en évidence par Freud) et, bien sûr, linguistiques et rhétoriques. Les pro­blèmes méthodologiques en sont compli­qués, car le comique apparaît souvent comme une sorte £ envers de la raison, du sérieux, contestataire sûrement. Mais, par un surdéveloppement allant jusqu'au dys­fonctionnement des mécanismes de la per­ception, de la cognition et des règles du lan­gage, il peut amener un certain « savoir ». Différents spécialistes utilisent en effet le comique comme contre-épreuve du bon fonc­tionnement de pratiques « normales » et comme démonstration par l'absurde de leur théorie. On peut d'ailleurs fonder notre réflexion sur le fait que le comique serait manifestement défectueux (illogique, agressif, inapproprié, paradoxal...) si on le prenait sérieusement. Certaines notions s'imposent, comme celles d'écart, de violation de code (le comique enfreint le code en même temps qu'il l'impose), de ruptures, à un niveau ou un autre de la communication, qui libèrent des contenus implicites.

Le comique n'est pas seulement écart,  il implique aussi une stratégie ; les éléments qu'il met en œuvre répondent à une finalité. Les lois du discours et les règles de politesse qui président au rapport social se voient infléchies de façon très calculée. C'est ce que Defays étudie de façon très précise. Le comique repose également sur une interac­tion entre soi, le monde et les autres dont il transforme les paramètres. Il apparaît en fin de compte comme une vaste machination, l'expérience d'un langage qui ne sert qu'à par­ler pour parler (phatique), qu'à parler pour dire que l'on parle (métadiscursif) et finale­ment pour dire que l'on ne dit rien (para­doxal), l'expérience d'un discours ritualisé dire et ne pas dire reviennent au même. Les différentes facettes du fait comique sont prises en compte et les éclairages varient. L'étude est bien menée et intéressante. Un seul regret cependant, qui ne tient pas à l'auteur, mais au principe des collections de synthèse : 96 pages, c'est peu pour un sujet si vaste, et cela impose à Jean-Marc Defays des efforts de concision qui ont sans doute nécessité force cafés, vous savez, ce breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas (Alphonse Allais).

Joseph Duhamel