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Critiques de livres

Le popotin de la commère

Je termine mon papier pour « C4 », tor­chant en hâte ceci : « Les marsupilamis de nos amis devenant nos marsupilamis (contrairement aux petits amis de nos pe­tites amies qui, faisant mentir l'Algèbre, sont vus comme des ennemis), voilà que, sur les conseils de l'illustre Jean-Pierre Jacquemin, son préfacier inspiré, Didier de Lannoy me fait parvenir son premier livre, paru chez Quorum, Le Cul de ma femme mariée El culo de mi mujer casada », « De kont van mijn getrouwe vrouw », « Evunda y a mwasi na ngaiya libala »). Le Bonheur ! Il y avait longtemps que je n'espérais plus voir un écrivain francophone s'exprimer avec une telle verve, se /nous faire plaisir avec une si belle Liberté. Coopé­rant à Kinshasa pendant plus de vingt ans (où il fut l'ami de tous les « peintres popu­laires » qui nous y sont si chers), ce nouvel auteur (il préfère « autiste »), conçu à Nassogne (« di rin ») s'emmerde pour l'heure dans la capitale, fonctionnaire qu'il est dans une importante administration fédérale. (« Dans une heure et sept minutes, j'éteins mon ordinateur, j'enfile ma veste de cuir, je quitte mon bureau, je prends l'ascenseur, j'en­fonce ma carte dans la pointeuse, je grimpe dans ta bagnole, je rentre à la maison ! » Là, quand il n'est pas en train de jouer (« La pe­tite culotte de ma femme mariée, quand je me la mets sur la tête, on dirait un bonnet d'âne qui a perdu ses grandes oreilles. »), il énumère (célibataire, Courage, du Nord, maquerelle, Supérieure, Teresa, Ubu, et tuttae quantae, ad libitum, nom d'un p'tit bonhomme (sans rire)) sa/la Vie-même, dressant tantôt la liste de tous les p... de « flics » qui cherchent à le/nous « débusquer », tantôt colligeant (pour nous les balancer en pleine g...) les bordées des plus formidables injures, bouf­fon sublime en son impitoyable Cru di/au té, fou riant du Monde (sous cape (et d'épée)), notre semblable, notre frère. Voilà ! » Relisant ces mots, j'éprouve l'irré­pressible envie (non point d'aller expulser mes urates, mais) d'en pisser davantage (de la copie) pour les fringants érec/lec teurs du Carnet et les Instants. En effet, plus j'y pense, plus j'ai envie de relire dare-dare ce livre. Voici : Dommage qu'on (« les "que l'on" m'emmerdent, je préfère les "qu'on"... », comme l'a dit Gène C. Pluky) ne puisse pas ici accumuler les notes en bas de page, ça nous aurait permis de nous esbaudir en sus. Nous eussions ainsi pu joyeusement plagier l'un des tics (caus-, éro-, fantas-, mys-, pronos-,...) (ceci ri (sauvage) entre paren/enfan-thèses) de désécriture de cet Icono (verbo) claste pas tenté de « faire », (cfr Le Traité du Style, d'Aragon) le moins du monde, comme tout le monde. Certes, des critiques de la presse « bien pensante » ont de conserve applaudi à l'alacrité de cet étonnant « portrait d'artiste en chasseur de mots », certains ont été jusqu'à relever que l'ouvrage fourmillait de considérations acerbes sur le totalitarisme bureaucratique, d'autres se sont même aperçu que les prédateurs planétaires, maffieux de tout poil et autres sépulcres blanchis en prenaient par ci par là pour leur grade. Mais — cela leur aurait-il échappé ? — aucun n'a cru bon de signaler que le brûlot de Didier de Lannoy était aussi un bouquin « politique » (mais qu'est-ce qui ne l'est pas ?), sur la Belgique qui prend l'eau, l'Eu­rope du chômage et du commerce, la traque des immigrés, le racisme d'État et bien d'autres ignominies de notre pitoyable envi­ronnement. Pourtant, l'excellente préface si­gnalait bien la lucidité (l'affliction) de l'au­teur devant notre misérable « pays petit », ses rages face aux « infos » anesthésiantes, « la dénonciation constante des carcans et des mesquineries du « petit royaume fédéral » : racisme ordinaire, politique exsangue, prurit identitaire chronique, chape toujours pesante du cléricalisme, conformisme bourgeois » et son besoin de « gueuler contre l'arrogance obscène des maîtres actuels du monde pour qui nous ne sommes tous, au Sud comme au Nord, que des pions corvéables, sacrifiables à merci ». Ce truculent roman-collage ne se contente pas de nous faire rire (jaune, sinon noir) de notre élément naturel, de la toile de fond de notre aventure incohérente et de nos baveuses polissonneries, cette insolente lo­gorrhée se montre délicieusement (et com­bien justement) féroce à l'égard de l'insup­portable époque dans laquelle se débattent nos destins invertébrés.

André Stas

Didier de LANNOY, Le Cul de ma femme mariée, Quorum, 1998, 190 p.