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Critiques de livres


Françoise PIRART
Le décret du 2 mars
Luce Wilquin
1994
256 p.

Viva la muerte

Hasard ou propos délibéré ? Le dernier roman de Françoise Pirart rencontre une question d'une gravité croissante que la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, qui se déroule au Caire en ce mois de septembre, rend encore plus brûlante : le contrôle des flux démogra­phiques. A l'instar des experts qui constatent le manque d'efficacité des politiques autoritaires en matière de planification des naissances, l'auteur dénonce, dans une vision quasi apocalyptique, les conséquences d'une attitude totalitaire dans un domaine qui touche à la vie privée de chacun. Nous sommes en 2064. Un gouvernement unique gère le monde enfin pacifié. Les ma­ladies ont disparu, restent les accidents et l'inéluctable vieillesse. Un savant américain, le professeur Folliett (le docteur Folamour n'est pas loin), met secrètement au point une substance qui stoppe la dégénérescence des cellules et assure ainsi une vie quasi éternelle. Faut-il dévoiler pareille décou­verte ? La victoire sur la mort, c'est la gloire assurée pour son inventeur. Bientôt la nou­velle est lancée et fait l'effet d'une bombe. Les politiciens, soutenus par les scienti­fiques, saisissent l'occasion pour décréter obligatoires l'immortalité et la stérilisation de tous les adultes sans enfant. Voilà enfin trouvé le moyen de stabiliser le volume de la population mondiale à son stade actuel. Un tel décret, discriminatoire et totalitaire, soulève, partout dans le monde, des réac­tions extrêmement violentes. La résistance s'organise, l'état de guerre civile est général. Et la question que chacun se pose avec acuité est celle du sens de la vie, une fois privée de son ultime fin, la mort.

L'auteur a su imbriquer dans ce thème aux accents philosophique et politique un cane­vas dramatique bien construit. Le fil conduc­teur en est la destinée d'une jeune biologiste dont le regard est double : d'une part, elle est partie prenante du monde scientifique, et d'autre part, en tant qu'individu, elle se trouve en butte aux injustices, à la violence et à l'arbitraire qui condamnent son amour. Menée avec suspense, la narration relance la réflexion sous-jacente qui n'est jamais pe­sante. Seuls comptent l'épreuve des faits et leurs conséquences sur la vie de chacun. On pourra cependant regretter un certain manque de rythme dans les moments de ten­sion. Ainsi le récit de tragiques manifesta­tions à Bruxelles, ou celui d'une dangereuse évasion, malgré un réalisme parfois poignant, ne parvient pas à maintenir le lecteur hors d'haleine. Sans doute l'écriture, d'une grande sobriété, est-elle parfois trop contenue, au détriment de l'élan dramatique. Mais ce n'est là qu'un moindre défaut qui ne nuit pas, dans l'ensemble, à ce roman tout compte fait captivant.

Dominique Crahay