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«  Un rêve monté de l'écume »

Magique, éblouissant, poétique... Rare. Juste. Comment décrire cette petite merveille d'harmonie qui vous plonge dans un univers d'images et de mots en symbiose ? Avec Le dernier voyage de Saint-Exupéry, un conte de Carl Norac illustré par Louis Joos, la Renaissance du Livre illustre parfaitement ce que doit être un album publié dans la collection « Beaux livres littéraires » : un vrai bonheur des sens. Mon été a commencé avec Saint-Exupéry, sous le soleil de Chios : les mémoires de la rose, alias Consuelo de Saint-Exupéry ont singulièrement terni l'image du colosse ex­plorateur des étoiles et de l'écriture. Pas très poétique dans sa vie quotidienne, Saint-Ex : fuyant, versatile, macho, voire méchant, prompt à la trahison et à la dérobade, bref, invivable. La lecture du journal intime de la femme du héros laisse un sacré goût d'amer­tume et le mythe se fissure. Paradoxe au pays d'Homère, où l'on aurait aimé que cette my­thologie du XX^e siècle un peu trop façonnée par le marketing, reprenne son envol. Las... Hasard objectif, voici, en cette fin d'été ardennaise et pluvieuse, à nouveau un livre qui raconte Saint-Exupéry. Miraculeux. Approchez des nuages, approchez des étoiles. Le conte de Carl Norac ressuscite Saint-Exupéry. Les des­sins de Louis Joos donnent les couleurs du rêve à ce dernier voyage. « Ce livre que vous venez d'ouvrir est une boîte noire : vous y trouverez la plus secrète de mes collections de cailloux » prévient l'écrivain. Cette boîte noire d'un avion en perdition a des vertus extraordi­naires. La collection de cailloux de Carl Norac est fabuleuse aussi bien dans le récit que dans le trait, c'est un voyage magique où le ciel est à portée de désir, où les nuages deviennent univers, où les sortilèges du vent et des tempêtes mènent la danse. Norac et Joos réinven­tent l'éternité. L'éternité, c'est la mer allée avec le soleil Et les étoiles aussi. « Si Saint-Exupéry continue à me fasciner, c'est pour sa façon d'oser ce mot si souvent méprisé en littérature : la féerie. Cet enfant malicieux des jeux de masque, des théâtres improvisés, porteur des clefs rouillées qui ou­vrent les royaumes, cet adulte qui se disait ai­manté par les étoiles ou qui, perdu, pleure en appelant sa mère, est pour moi bien plus convaincant que le philosophe un peu trop brillant (celui que les surréalistes belges appe­laient sévèrement, mais non sans humour, Saint-Exaspérant). » Ce sont donc les clefs rouillées et les étoiles qu'il faut apprécier ici. Pas question d'analyse, d'enquête, de déduc­tions, d'hypothèses. C'est une épopée. Les quelques secondes d'éternité avant la chute d'Icare ou la mort d'un homme-oiseau. Rien de commun avec les titres des journaux. Rien de commun.

Les dessins de Louis Joos palpitent comme les ailes d'un oiseau. Les mouvements du Lightning confronté à l'orage, au feu de l'ennemi, aux nuages : toujours justes. Les traits des Touaregs esquissés, la silhouette de Pique-la-Lune, la valse des nuages, les villes englouties dans les couleurs, l'eau, le ciel, les étourdissantes étoiles : le voyage d'images est au diapason du périple des mots. Dans sa postface, Norac nous livre les clés de son parcours, il dévoile les balises que son histoire a puisées dans la vie de Saint-Exu­péry : la petite chaise bleue, fétiche de son enfance, le goût de l'obscurité, le plaisir des croquis, l'Orient, le désert, les textes de Bau­delaire, la petite musique de la mélancolie... Ceux qui ont besoin de comprendre trouve­ront ici les indices qui explicitent la géogra­phie du livre. Ceux qui restent éblouis par les images et les mots n'en auront pas besoin. Un livre qui convient à tous les âges : il peut raconter Saint-Ex à un tout petit par la magie des illustrations, happer l'intérêt d'un ado grâce à l'univers visuel proche de la BD, fasciner tout lecteur par ces correspondances fulgurantes entre mots et images... Que vous soyez un lecteur récent ou loin­tain du Petit Prince, que vous soyez un pas­sionné d'aviation ou de poésie, un amateur d'étoiles et de nuages, si vous entrez dans l'univers singulier de Saint-Exupéry suscité par Norac et Joos, vous garderez précieuse­ment, à portée de regard, ces mots et ces images qui réinventent le héros et préser­vent le mystère...

« (...) Antoine goûtait chacun de ces moments qu'il lui était donné de vivre entre ciel et flots. Rien ne le retenait davantage qu'un rêve monté de l'écume ou tombé d'un oiseau. (...) »

Nicole Widart