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Critiques de livres


Hugues DAYEZ
Le duel de Tintin-Spirou
Editions Luc Pire
Bruxelles
1997
256 p.

L'âge d'or de la bande dessinée

N’en déplaise aux esprits chagrins, la bande dessinée fait partie inté­grante de notre patrimoine cultu­rel. Même pour les profanes, des noms tels ceux de Yoko Tsuno, Guy Lefranc ou Gas­ton Lagaffe sont plus familiers que ceux de quelque lointain pharaon. Le tirage du der­nier album en date d'« Astérix » laisse rêveur bien des romanciers : trois millions d'exem­plaires pour le seul marché francophone ! Comment expliquer que notre Belgique ait pu être le berceau de tant de talents ? Longtemps voisinèrent dans les librairies les hebdomadaires Spirou (émanation des Edi­tions Dupuis) et Tintin (Editions du Lom­bard). Les noms de Franquin, Tillieux, Deliège, Hubinon, Roba ou Macherot émaillaient nos conversations tandis que les exploits de leurs héros de papier nous fai­saient frémir. La concurrence entre les deux périodiques (Tintin donnant la priorité aux séries réalistes, Spirou davantage axé sur l'hu­mour) suscitait une franche émulation, pro­pice à l'éclosion des talents. Nous assistions, sans le savoir, à l'âge d'or du Neuvième Art. Journaliste à la RTBF depuis 1986, Hugues Dayez a rencontré et interviewé dix-sept ac­teurs (Jacques Martin, Greg, Tibet, Jean Van Hamme, Will...) de cette fabuleuse épopée. C'est le 21 avril 1938 qu'apparaît « Spirou ». Rob-Vel y anime un malicieux « groom » à la tenue rouge vif tandis que Fernand Dineur s'essaie à « Tif et Tondu ». Ces deux pionniers sont bien vite rejoints par quelques illustrateurs hors du commun : Sirius, Joseph Gillain alias Jijé (à qui l'on doit plusieurs biographies mythiques), Fran­quin, Peyo, Tillieux, Will... « Ils manifes­tent tous, note l'auteur, un talent inné pour le dessin humoristique et la caricature. »

Le succès du journal est prodigieux dans les années 50 et 60. 1968 sonne le glas. Thierry Martens garant du classicisme ») remplace l'inventif Yvan Delporte au poste de rédac­teur en chef. Lassé, Franquin cède « Spirou et Fantasio » (héritage empoisonné) à Jean-Claude Fournier, un débutant. Morris, Jijé, Eddy Paape, Jadoul, Maurice Rosy... quittent l'hebdo. Tentant de faire oublier leurs glo­rieux aînés, Gos, De Gieter, Pierre Seron, Sandron... peinent à convaincre. L'éclaircie apportée par des auteurs tels Bernard Hislaire (« Bidouille et Violette »), André Geerts, Jean-François Charles, Jean-Marie Brouyère, Serve, Marc Wasterlain, Benn est de courte durée. Depuis, en dépit de quelques indé­niables réussites, l'hebdomadaire vit, comme en témoigne la présence en ses pages de « Buck Danny », sur son prestigieux passé. Etrangement, Tintin fut peu présent au sein de l'illustré qui de 1946 à 1988, porta son nom. C'est avec des auteurs comme Jacobs, Liliane et Fred Funcken, Tibet, Mittéi... que le magazine connaît son heure de gloire avant de sombrer dans une affligeante rou­tine. Prenant, en 1965, les rênes du journal, Michel Greg lui fera passer le cap de la mo­dernité. Ses successeurs, Henri Declez et Jean-Luc Vernal seront moins heureux et ju­dicieux dans leurs choix. L'issue était, hélas, prévisible et, dans l'indifférence, « l'hebdo­madaire des jeunes de 7 à 77 ans » cessa de paraître à la fin 1988. Aujourd'hui, les an­ciennes séries représentent environ nonante pour cent des ventes. Ce constat alarmant ne saurait nous faire oublier la nostalgie de notre jeunesse. Quand l'aventure était au coin de la rue. Par la magie de deux illustrés.

Michel Tack