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Critiques de livres


Laurent de GRAEVE
Le mauvais genre
Ed. du Rocher
2000
183 p.

Retour sur les Liaisons dangereuses

Le roman de Choderlos de Laclos, l'un des plus beaux de la littérature fran­çaise, est, on s'en souvient, dominé par la personnalité de Mme de Merteuil. Comme les différents tons des personnages, qui se dévoilent dans leur correspondance, le sont par le style de la Marquise, éblouis­sant de naturel, d'élégance, d'ironie, de pré­cision et de subtilité.

Aux dernières pages des Liaisons dangereuses, Mme de Merteuil reste presque seule en scène, au centre d'un empire dévasté. Le vi­sage marqué par la petite vérole, ce qui fait murmurer à la haute société, qui l'a répu­diée, qu'elle porte à présent son âme sur sa figure. Le Vicomte de Valmont et Mme de Tourvel sont morts, lui en duel, elle de douleur et de consomption. Pour son troisième roman (après Les orchi­dées du bel Edouard et Ego, ego, qui lui valut plusieurs prix), Laurent de Graeve a pris le risque de se mesurer à ce chef-d'œuvre. Et réussi la gageure de n'en être pas indigne. Choderlos de Laclos avait muré la Marquise dans le silence et la solitude, à la disparition du Vicomte. Laurent de Graeve lui rend la parole. Plus tragique encore que perfide, implacable, mais déchirée, Mme de Mer­teuil tire ici l'amère leçon du jeu savant d'intrigues et de complots dont elle se dé­lecta, jusqu'à la rupture de son pacte avec Valmont, qui précipitera leur chute. Il n'hésite pas à avancer qu'elle a signé, avec une âpre jubilation, l'arrêt de mort de celui qu'elle aima d'unique passion avant de le haïr : Tout meurtre est un parricide, tout par­ricide est une résurrection. Mais cette âme violente, tourmentée, ne saurait s'enliser dans le désespoir. Au bout de la nuit se lève une promesse d'aube : la Marquise devine en la toute jeune Cécile Volanges une possible alliée et, lasse de la haine, de la guerre, lui ouvre son cœur, dans une lettre-confession, et lui propose de réapprendre avec elle la sincérité de l'amitié et la douceur de la tendresse... L'écriture se devait d'être un régal. Elle en est un, vif et raffiné. Et l'on ne résiste pas à l'envie de citer certains passages.

Elle me bouscula pour s'accouder a la por­tière ; j'observai son profil, et je vis un vau­tour. (...)

Amoureux d'un amour qui n'osait pas dire son nom, le Vicomte aimait et ne le savait pas : il n'avait rien à craindre, je le savais pour lui. Ce coup de théâtre n'en était pas vraiment un. Il était prévisible que le Valmont en arrivât un jour ou l'autre à ce genre d'extrémité.

Entré dans le monde à vingt-deux ans, il en avait fait le tour à vingt-six. Depuis, il tour­nait en rond, cherchant l'issue d'un labyrinthe qui n'en avait pas. (...)

M. de Valmont avait tant usé et abusé de dé­bauches et d'expédients sans trouver ce qu'il cherchait au 'il n'y avait sans doute pas grand risque à essayer si la sagesse de Mme de Tour­vel pouvait le guérir de son mal. C'était moins une infidélité qu'il chercha à lui arracher que ce mystérieux soleil intérieur qu'il se mit à convoiter.

Le soleil ne se levait plus depuis longtemps pour Monsieur le Vicomte et les nuits sont froides sans soleil et les nuits sont longues, n'est-ce pas ?

Il ne nous reste, à nous les Méchants, que le cynisme pour les jours les plus sombres, cette acre lucidité de ceux qui savent qu'il n'y a rien à voir. Qu'aurais-je donc à faire d'un so­leil quand, moi, je sais que tout est noir ?

Un texte parfaitement maîtrisé, intelligent ; brillant. Un bel exercice de style.

Francine Ghysen 

Laurent de GRAEVE, Ego, ego ressort en sep­tembre aux éditions Ancrages ( qui avaient déjà réédité Les orchidées du bel Edouard ), 273 p.