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Critiques de livres


André STAS
L'Embrouillamaxi
avec quinze dessins de Roland Topor
Les Marées de la nuit
Morlanwelz
1997
76 p.

Pour ne pas mourir d'ennui

Stas nous assène en ce presque début de printemps sa nouvelle récolte de brè­ves, suite cinglante des « Grenailles 1995 ». L'Embrouillamaxi, écrit, s'il faut croire l'auteur, pour « ne pas mourir d'en­nui » aux pays des andouilles (quoi qu'elles soient parfois délicieuses), ne décevra pas l'amateur de grenailles. On y partagera avec Stas le plaisir du dilettante, son goût pour

L’anecdote, les calembours (« Le Magicien d'Overd'OZ »...) et les aphorismes « concis, sans doute, mais parfois si cons ! » On ne pourra que saluer son in­décrottable manie de démas­quer, dans les expressions toutes faites et autres proverbes, la vé­rité perturbante et de remettre ainsi en cause le monde comme il va (il est d'ailleurs beaucoup question du nom qu'on donne à la chose, dans ce recueil). On se plaira aussi à rêver aux sapins morts d'après Noël et aux pe­tites culottes abandonnées sur le plancher des chambres d'amour.

Mais la manie des effeuillages verbaux est peut-être encore plus patente aux fils de cet Embrouillamaxi que dans les Grenailles errantes. Ou alors, ce qui se radicalise, c'est le désespoir ricanant sur lequel débouchent les jeux de mots et les contre­pèteries. Un « humour noir rosé », sans doute, cynisme où amour des hommes et misan­thropie sont souvent synonymes. Ainsi ce (misogyne, cette fois) « Bonjour à ta compagne et à sa­lade... » assez pertinent. D'ailleurs, la cita­tion de Flaubert qui ouvre le recueil (sur la vie qui pue à faire vomir) ne nous en conte pas. En effet, il y a pas mal de spleen dans ce recueil, ou plutôt de cafards (animaux domestiques qu'il faudrait bien songer à ap­privoiser). On notera aussi une volonté d'aller puiser dans des textes subversifs (même si demeure toujours le hasard des découvertes et, surtout, l'éloge de ce hasard), ainsi que de roboratifs appels à l'in­soumission (verbale, pour commencer). Autre curiosité chez ce gars prolixe et ce fieffé blagueur : un éloge constant du si­lence, sous (si j'ose dire) toutes ses formes : « En désespoir de cause toujours ! », « Rira longtemps qui rit sous cape », « on ne nour­rit pas les affamés en écrivant des tartines », « qui ne dit mot ne manque pas nécessaire­ment de parole », « soit dit en passant sous silence », etc. Mais peut-être André Stas nourrit-il l'ambition de deve­nir taciturne, « parce qu'il n'a pu s'empêcher de déceler dans "faconde" à la fois "fat" et "con."» ?

Bref, si vous vous sentez en passe d'agoniser d'ennui, lisez L'Embrouillamaxi. Vous aurez tout loisir d'y admirer, en prime et ce n'est pas rien, quinze des­sins de Roland Topor. Une der­nière petite chose : il me semble que si les fragments des Gre­nailles finissaient par élaborer, sans en avoir l'air, une histoire de l'artiste (ou en tout cas dessi­naient un bout de son par­cours), L'Embrouillamaxi en dresse plutôt le portrait (pensif, dégoûté, loufoque). Mainte­nant, il ne nous reste plus qu'à suivre l'un des plus sages conseils qui ponctuent le recueil : « Fermons nos gueules et faisons-le. »

Françoise Delmez