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Critiques de livres


Yves CALDOR
L'Enfant de la Puszta
Bernard Gilson Éditeur
1999

Au cœur baroque de l'histoire

Le roman historique a un statut à part dans la littérature écrite en français. Ayant échappé aux foudres et aux re­mises en cause de la modernité, il suscite des attentes précises de la part de ses lecteurs. Aucun Robbe-Grillet, aucun Beckett, aucune Nathalie Sarraute du roman historique ne sont venus perturber une tradition établie au XIXe siècle. Aussi continue-t-on à juger ces productions principalement selon deux cri­tères : la manière dont le passé y reprend vie et la construction du récit. Yves Caldor, qui signe avec L'Enfant de la Puszta, un premier roman dont l'action se situe pour l'essentiel au XV siècle, a le mérite d'avoir pénétré en profondeur l'époque qu'il dépeint. Dans le sillage de son héros, Istvân Kemeny, petit noble hongrois appelé à voyager en Occi­dent, le lecteur croise les grands de l'époque : Mathias Corvin, le roi le plus puissant que la Hongrie ait jamais connu, Charles le Témé­raire ou Louis XI, Memling ou Commynes, ou encore le terrible comte Vlad Dracul, dont les atrocités donnèrent naissance à la légende de Dracula. Mais le lecteur rencontre aussi des ar­tisans, des malandrins et des vagabonds en Hongrie, en France, à Bruxelles et dans les Fagnes. Les plats sur les tables lui sont précisé­ment décrits et il peut même recopier la fa­meuse recette du civet d'huîtres. D'autres des­criptions s'attachent aux armes ou aux métiers manuels, tandis que les personnages récitent des poèmes d'époque authentiques. Enfin, la langue elle-même qu'emploie l'écrivain s'ins­pire du moyen français. Sur ce point, Yves Cal­dor fait d'ailleurs preuve d'une grande habileté, et s'il emploie ça et là un mot oublié, s'il omet de temps en temps un article, il demeure tou­jours directement compréhensible : ses traits médiévaux colorent la lecture sans la ralentir.

Le passé trouve donc dans ce roman une consistance véritable. Le récit, par contre, ne répond pas aux attentes classiques du genre. N'allez pas y chercher une unité d'action : des événements se succèdent au gré des ren­contres et des voyages. Une intrigue com­mence puis s'achève avant de laisser place à une autre et l'élément qui les relie toutes (la mission que Mathias a confiée au héros et à son père) ressemble plus à un prétexte qu'à un fil narratif.

Cette construction baroque correspond, au moins en partie, à un parti pris de l'auteur, qui cherche à évoquer la réalité de l'époque de façon brute, comme pour mettre en évidence l'absurdité de la destinée des humains quand ils sont en proie aux guerres, à la violence ou à l'injustice la plus criante. Son livre nous rap­pelle à quel point les puissants peuvent se mon­trer égoïstes et cruels quand on ne compte que sur leur conscience pour limiter leur vanité. Les sacs de Dinant et de Liège perpétrés par Charles le Téméraire et décrits ici n'ont rien à envier aux pals de Vlad Dracul. Cela dit, le récit comporte quelques mala­dresses qui mettent parfois le lecteur à dis­tance : un psychologisme appuyé, une insis­tance didactique à dire les choses plutôt qu'à les faire surgir du récit, la répétition de certaines fi­celles dramatiques, l'abondance de monologues statiques... Tout cela n'est pas bien grave : il s'agit d'erreurs faciles à corriger et qui ne se rencontrent que dans les premiers romans (d'ailleurs, au fil du texte, elles tendent déjà ici à disparaître). Mais était-ce au critique de les souligner... ou à l'éditeur ? Quoi qu'il en soit, avec L'Enfant de la Puszta, Yves Caldor a signé un roman généreux et plein de promesses.

Laurent Demoulin