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Critiques de livres


Frank ANDRIAT
L'enfant qui chante
Bruxelles
Editions Bernard Gilson — Pré aux sources
collection Micro-Roman
1993
133 p.

Comme un (micro-)roman

Bien sûr, il est question d'exigence de lecture, d'attention préservée aux recherches contemporaines. Bien sûr, c'est à la poésie que s'adressent tous les privilèges, toutes les préséances : aux heures d'enthousiasme et d'intransigeance, quel­ques vers en mémoire pourraient abolir sans regret un siècle de bavardage romanesque. Pourtant, il n'est pas si rare de se découvrir, benoîtement, en mal d'histoires ; et de rechercher avidement la compagnie de conteurs anciens — disons Stevenson ou Maupassant.

Dans l'essai Comme un roman, Daniel Pennac ne développe finalement rien d'autre : au commencement était le récit, qui tenait en haleine, alimentait les songes. Sur les ri­chesses du style et les subtilités de la construction prévalait le fil tortueux des pé­ripéties accumulées par l'écrivain. Le reste n'était pas encore littérature — ni même l'objet d'un discours critique.


André-Marcel ADAMEK
Le maître des jardins noirs.
Bruxelles
Editions Bernard Gilson — Pré aux sources
collection Micro-Roman
1993
118 p.

C'est un état d'esprit similaire qui anime les éditions Pré aux sources, lors du lancement de la collec­tion Micro-Roman. Des textes courts sont proposés pour le seul « plaisir de la narra­tion » : cent-vingt pages pour une après-midi ou une soirée de lecture — de bon­heur de lecture ?

Avec L'enfant qui chante, Frank Andriat re­noue avec les émois et les craintes de l'ado­lescence. Au gré des couplets d'une chanson que lui chantait sa mère, se traduisent les désirs et les carences qui angoissent l'enfant. Ainsi, les petits drames s'additionnent, qui sont autant de fêlures dans un quotidien déjà terne. De père inconnu, confronté à une mère malade qui le comprend mal, l'enfant doute de sa place dans le monde. Il se cherche des guides et des alliés — en fait, la famille et les amis qui lui ont toujours manqué.

S'il faut déplorer le ton parfois sentencieux qu'il insuffle à son récit, Frank Andriat dé­peint toutefois avec une réelle justesse les soubresauts de la conscience adolescente. Et l'éveil des premières tentations amoureuses nous vaut également de fines analyses.

C'est dans un tout autre univers que s'ancre Le maître des jardins noirs d'André-Marcel Adamek. Dans un paysage abrupt, d'une extrême rigueur pour qui veut encore y de­meurer, deux caractères entiers engagent à distance une lutte muette, où se figure le ballet incertain du rejet et de la séduction. Il y a Simon, souverain laconique de coteaux arides et d'un village en ruines. Et puis, à l'autre pôle du hameau : ... rayonne la blonde Anaïs. Elle en est le cœur et l'écorce, la chair et l'esprit. Entre l'instant matinal où elle apparaît sur le seuil en faisant claquer sa nappe comme un dra­peau et celui du soir qui me révèle sa sil­houette derrière les fenêtres éclairées, le temps est suspendu et un pesant ennui écrase la terre. Assumant la double voix du roman, Anaïs et Simon tentent chacun de percer le secret de l'autre. Mais il n'y a pas de vérité unique, et les savoirs se dérobent sitôt qu'ils paraissent s'appréhender. Car Adamek ac­corde une place majeure au rêve, et laisse l'irrationnel dévier la trame des vies en pré­sence. Evoquant l'auteur dont il prépare la traduction, Quentin, le compagnon d'Anaïs, met d'ailleurs en abyme cette pré­éminence de l'onirisme : Ses personnages n'existent qu'à travers leurs rêves. Quand ils se réveillent, c'est pour subir les événements tout en ressassant leurs visions nocturnes et ils n'ont bientôt plus aucune prise sur leur destin.

Au rêve s'allie une étonnante légende, qui peut envoûter qui accepte d'y croire. C'est le propre de la parole ancestrale de procurer par l'imaginaire des réponses aux plus sourdes angoisses, aux troubles innommés. Aussi, in­tégrée intelligemment à la narration, la malé­diction de la Bichelle éclaire-t-elle les som­bres désirs du paysan et le questionnement de la jeune femme :

Bien que la Bichelle fût chaste et pieuse, son désir de maternité se montra si ardent qu 'elle en perdit sa religion et que par un soir d'orage, au beau milieu d'une clairière, elle offrit son corps à un grand cerf affolé. De cette union extravagante naquit un faon à tête d'homme dont le front lisse était orné de bois...

Vous l'aurez compris : Adamek est de la race des fantastiqueurs. De ceux qui savent que l'irréel peut avoir raison. Qu'il est sou­vent porteur d'un savoir d'autant plus pro­fond qu'il est crypté. Et, pour notre bon­heur, cette connaissance nous est livrée avec l'humilité d'un conteur maître de son mé­tier...

Laurent ROBERT