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Critiques de livres


Alain BERENBOOM
Le Pique-nique des Hollandaises
Le Cri
Bruxelles
1993
242 p.

Un roman d'époque. La nôtre.

L’époque n'est pas au beau fixe. Les gens ne vont pas bien. Il suffit de les regarder bouger et de les écou­ter parler pour s'en rendre compte. Leurs idéologies ont été malmenées, dépecées sur l'étal du siècle. Rien ne les a remplacées. Du moins pas encore. Alors les gens vivent comme ils peuvent, les bras baissés, empê­trés dans leurs désillusions. Tous, de leur côté, tentent de s'en sortir au mieux en at­tendant les jours meilleurs. Il en est ainsi de Van Loo, l'(anti)-héros du Pique-nique des Hollandaises, l'attaché culturel chargé d'or­ganiser un festival du film belge à Varsovie. Au gré du roman, il se pose là où on le met (on = les autorités belges ; Mademoiselle Manicewicz, l'amante qui chamboule son ronron ; Benerian, le sombre manipulateur qui veut faire d'Auschwitz un haut lieu du commerce et de l'amusement ; ...le roman­cier qui fait de lui ce qui lui plaît). A vivre ainsi à la va-où-je-te-pousse, il se retrouve emporté dans une histoire qui le dépasse : conduire un cercueil de Varsovie à Nimègue avec, collés à lui, un homme d'af­faires avide et trois Hollandaises intéressées. Pourquoi ce petit monde poursuit-il Van Loo ? Pourquoi le cercueil doit-il rejoindre Nimègue ? Qui y est enfermé ? Comme pendant une bonne partie du livre, ces ré­ponses ne sont livrées que parcimonieuse­ment par Alain Berenboom, on ne va pas les dévoiler. D'ailleurs ces interrogations sont à peine soulevées. Tout le monde a l'air de s'en foutre. Alors le lecteur est dans le fou, le flou, un peu hébété. Mais il saura à un certain moment. Cela n'assagira pas l'histoire d'ailleurs. Cela lui donnera plutôt un coup de folie pour mieux repartir dans des dérèglements qui ne sont malheureusement ni de la science-fiction ni du fantas­tique. Qui sont on ne peut plus réalistes, on ne peut plus proches de la nature humaine. Comme l'est l'amour dévastateur. Salva­teur ? L'amour passionné qui attache Van Loo à Mademoiselle Manicewicz. L'amour réciproque ? A chacun d'interpréter. Alain Berenboom ne conclut pas. Il laisse le lec­teur en suspens. Il est trop malin pour sau­ver le monde à coups d'artifice. Il connaît trop bien la situation mondiale et euro­péenne (il est l'auteur du Traité de Maas­tricht, mode d'emploi) pour jouer au pro­phète ou à l'oiseau de bon augure. Il prend la situation telle qu'elle est et y fait vivre des personnages qui y ressemblent. Qui ressem­blent à notre Europe ouverte et déphasée où se côtoient les obsédés de l'argent à tout prix et les fonctionnaires enrôlés par des Etats déficients. Où tous se mêlent et où aucun n'y gagne. Où tous magouillent des magouilles plutôt frigides. Des magouilles sans éclat qui font grincer les dents. Qui font sourire aussi. Ce qu'il nous reste à faire probablement, même si c'est un peu jaune-ment. C'est pour nous, pour nous aider à continuer qu'Alain Berenboom manie l'iro­nie et le cynisme. En tout dernier recours aussi...

Michel ZUMKIR