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Critiques de livres


André JANSSENS
Le promeneur immobile
Bruxelles
CFC
collection « La ville écrite »
1997
166 p.

Promener son regard

Que voit-on de chez soi ? Quand par attirance ou désœuvrement, si ce l'est par diversion, on laisse courir le regard sur un paysage familier toujours plus ou moins fertile en surprises ou espéré tel ? Ce pourrait être le programme du Pro­meneur immobile, un livre de photographies où André Janssens se révèle à travers les ins­tantanés qu'il a pris depuis le dernier étage qu'il habite dans un immeuble à apparte­ments moderne. Des textes accompagnent les photos : on les doit à Eugène Savitzkaya, Jacques Sojcher, Guy Vaes, Gaston Com­père, Anne-Marie La Fère, Raymond Verbouwens et Marcel Moreau. Les mots sont manifestement venus après les photos, mais on ignore si les auteurs ont été libres de choisir celles à partir desquelles ils écriraient. Toujours est-il qu'une certaine thématique se dégage de cet ensemble, et que les images répondent bien de l'imaginaire de ceux qui en parlent. C'est ainsi que Savitz­kaya destine son texte au « côté campagne », végétal du paysage, tandis que Moreau trouve comme une réplique à ses propres séismes dans la série intitulée « la destruction du paysage » : il s'agit ici des lumières de la ville à la nuit tombée, mais elles sont brouillées sur la pellicule du fait qu'elles ont demandé un temps de pose prolongé et que le photographe a pris le risque de travailler « à main levée ». Ces « flous bougés » ne sont donc pas accidentels et, du même coup, Janssens quitte le plan de la stricte représen­tation de la réalité pour en restituer la vi­brante abstraction. Il en va de même lorsque, jouant de l'illusion d'optique, il fait passer un dallage pour un mur, une pelouse jon­chée de pétales ou de feuilles ? — pour un étang envahi de lentilles d'eau.

Janssens affectionne le grain photogra­phique sans en abuser comme « effet », de même qu'il aime l'heure où la lumière raré­fiée commence à raser les murs, alors qu'un regain de soleil en avive la grisaille et que s'achève une journée de pluie. Et de son belvédère, le promeneur immobile trans­cende l'apparente ingratitude de son cadre de vie.

Philippe Dewolf