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Critiques de livres


Georges EEKHOUD
Le quadrille du lancier et autres nouvelles
choix de textes, notes et présentation par Mirande Lucien
Cahiers Gai-Kitsch-Camp
Montpellier
1992
151 p.

L'écriture frétillante...

Vivent les garçons ! Les garçons consignés, les gars de peine, les sa­cripants, les parias, les guenilleux, les faubouriens, les voyous, les matelots, les paysans, les blousiers, les vachers... (tous ces termes ont été puisés dans les nouvelles de Georges Eekhoud que republient les Cahiers Gai-Kitsch-Camp). Le genre de mecs que l'écrivain n'a jamais été. Celui que sa nais­sance et son éducation lui ont refusé d'être (petit-fils de bourgeois anversois, fils de clerc et lettré lui-même). Alors l'attirance, l'amour, la passion des contraires se déchaî­nent. Alors Georges Eekhoud sublime. Par l'écriture qui se met en verve (allons jusqu'à dire en « verge »). Qui se déploie, flamboie dès qu'apparaît un de ces jeunes gens dans le champ de la narration. Qui vire à ce mo­ment à la description. Et la circulation du désir de commencer. Oh ! pas en plein jour, bien sûr. Pas en pleine lumière. L'amour (homosexuel) se fait en cachette, dans les textes de Georges Eekhoud. A l'ombre dans les chambres, à l'abri sur le cours des ri­vières. Ou ne se fait pas. Ou seulement dans les soubassements du texte. Dans ces lieux de l'écriture visités par la psychanalyse (Mirande Lucien s'y adonne à cœur joie dans sa postface. Un exemple presque choisi au ha­sard : « Mais au fait, à qui appartient le pénis-alezan ? N'est-ce pas toute la question de la castration de la mère et de son déni qui se profile ? »), par la mythanalyse. Celle qui s'évertuerait à découvrir toutes les figures martyres et christiques qui se dessinent sur ces pages. Qui se peignent. Car dès qu'un garçon de mauvaise vie se pointe, la plume devient pinceau. La page tableau. Un même genre de transformation se re­marque dans les photographies prises par l'écrivain lui-même (et dont on peut décou­vrir quelques tirages dans ce recueil). D'im­mobiles et figées quand elles se contentent de clicher la vie quotidienne, la vie hors-désir, elles tressaillent, déraillent à la vue des corps impubères, elles s'exaltent, exultent dès que des garçons nus s'éclaboussent dans l'eau. Bien sûr tout cela ne pourrait être qu'une illusion d'optique (critique) mais aucun choix (littéraire ou non) n'est innocent. Au­cune dénomination non plus d'ailleurs. Ainsi quand on décide d'appeler une mai­son d'édition Gai-Kitsch-Camp, la lecture est légèrement orientée. Mais rassurez-vous, nous sommes chez Eekhoud et pas dans Gay Pied, rien ne se passe sous la ceinture mais dans les sphères de l'art. De l'art sou­verain. Celui qui touche au divin : « Mais le verbe lui même parviendrait-il à s'assimiler le fluide de ces enfants de la libre aventure, le fumet de cette venaison humaine ? L'autre jour, je m'imaginais être cet artiste absolu : poète, sculpteur, peintre et musi­cien, le tout à la fois. Que dis-je ? Un ins­tant je crus même avoir usurpé la suprême béatitude réservée aux seuls dieux. » ( Voyous de velours. Espace Nord, Labor). Et si nous ne voulons pas faire de Georges Eekhoud un écrivain de l'homosexualité, disons par euphémisme que son écriture frétille sur le passage de certains garçons...

Michel ZUMKIR

N.B. Vous pouvez retrouver « Le Quadrille du Lancier » et « Partialité » dans Le Cycle patibulaire réédité en 1987 dans la collec­tion Passé Présent aux Eperonniers.