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Critiques de livres


Sandrine WILLEMS
Le roman dans les ronces
Bruxelles-Paris
Les Impressions Nouvelles
2003
185 p.

Loin des lumières

Le nom de Sandrine Willems est en­core dans toutes les mémoires. Elle faisait sensation il y a peu en pu­bliant ses « petits dieux », une série de onze romans miniatures, en l'espace de quelques mois. Le roman dans les ronces qui sort au­jourd'hui s'inscrit dans la même veine, à ceci près que son ampleur et son épaisseur n'ont plus rien de la miniature. Elle traite ce nouveau livre d'une manière qui lui est chère, semble-t-il car elle lui est devenue habituelle, à savoir s'inspirer d'un fait histo­rique connu et n'en donner le récit que par la voix intérieure d'un protagoniste de l'époque. Une manière d'écriture par pro­curation qui permet à la fiction de colmater les brèches de l'histoire tout en jetant sur celle-ci un regard contemporain. La guerre de Cent Ans fait encore rage quand cette religieuse, cloîtrée depuis l'âge de neuf ans, prend la plume pour raconter. Sa mère est morte en lui donnant le jour et il ne lui est resté que sa sœur aînée. Les deux enfants ont vécu seules, traversant ces temps rudes en se vouant mutuellement amour et bienveillance. Elle veut mainte­nant témoigner de cet amour, qui continue à l'illuminer, pour celle qui est devenue « petite sœur » car morte depuis longtemps. Que s'est-il passé ? Le roi Charles VI de­venu fou, son entourage s'est piqué de lui donner pour maîtresse et servante une rotu­rière. « Petite sœur » sera celle-là qui ac­compagnera, dévouée et aimante, le roi jusqu'au bout de sa démence, après avoir mis sa cadette au couvent. D'où celle-ci, longtemps après avoir appris à lire dans les Psaumes, écrit pour retisser l'histoire non sans l'entremêler d'une troisième forme d'amour, celui que, enfermés dans les cloîtres et protégés du siècle, certains por­tent à Dieu.

Mais qu'est-ce que l'amour face aux in­trigues de la Cour, aux chuchotements feu­trés de l'Eglise, au silence de Dieu ? Et comment l'exprimer quand les uns sont sé­parés des autres par la classe sociale, la folie ou la mort ? Ne resterait-il, d'un bout à l'autre, que l'innocence de l'enfance et la survivance dans le souvenir quand le reste écorche comme font les ronces ? Partant de l'histoire de ce roi fou et de sa ser­vante, Sandrine Willems nous plonge au début de ce XVe siècle fort troublé. Elle le fait non sans user d'anachronismes mais, d'abord, comprendrait-on aujourd'hui l'épo­que dans ses mots, ses usages et son esprit et, ensuite, ne faut-il pas tirer des leçons du passé ? C'est ce parti pris qu'adopté l'auteure en posant ainsi un regard incisif sur les ques­tions religieuses, les luttes de pouvoir et la condition humaine.

Le livre est conçu comme un journal, écrit au fil d'une année. Sa structure syncopée al­terne, sans souci de chronologie, les brèves notes, le récit des événements, les réflexions et les confessions intimes qui ouvrent la voie aux digressions, approfondissements ou autres emportements. Le roman dans les ronces est d'une beauté âpre.

Jack Keguenne