pdl

Critiques de livres


Stefan LIBERSKI
Les béatitudes de Ravi Pangloss : éloge
Editions Que
2004
93 p.

PING-PONG

Stefan Liberski publie quasi simul­tanément aux éditions  Que Le geste d'achat et Les béatitudes de Ravi Pangloss. Coup double ou coup fourré ?

J'ai dévoré Les béatitudes de Ravi Pangloss, elles sont nettement plus rigolotes que celles de César (Franck) et jouent de références multiples rien que dans le titre. Rabbi Jacob, Candide, Ravissant et tant d'autres connotations excitantes donnent envie de poursuivre le voyage. La couverture est sexy, avec ce char­mant jeune Charlie, hilare, qui fait mine de se suicider. Bref, rien qu'à jeter un œil sur la couverture, on a envie de se glisser dessous. Et quel bonheur quand on pénètre dans l'univers de Ra­vissant : tout est merveilleux, les pires situations s'expliquent et débouchent un jour ou l'autre sur une amélioration notoire. Le héros de Stefan Liberski est vraiment for-mi-da-ble en Candide du XXIe siècle. La plume de Liberski, légère et court vêtue, vaut le détour. Observa­tions cruelles de notre époque, grains de sel et grains de sable, on retrouve au gré de ces Béatitudes quelques-unes des idées les plus folles qui nous traversent de temps à autre l'esprit : « les sonneries des portables sont, à notre époque, les seules vraies surprises d'un spectacle car nul ne sait quand elles vont sonner » ; « Notre planète deviendra alors celle des magazines de voyages où tout est si beau et si accueillant, où tout a cette qualité de lissé, de brillance et de propreté d'une belle carrosserie allem­ande » ; « D'une certaine manière, s'élever contre les Américains ( arrogants) — attitude extrêmement courageuse, croyez-moi —, c'est traiter tous les pro­blèmes à la fois tant il est vrai qu'ils sont les nouveaux monstres du mon­de ».


Stefan LIBERSKI
Le geste d'achat
gestes
Bruxelles
Editions Que
2004
286 p.

Le parcours de Ravissant vaut celui de Candide et de son Maître. Bien évidemment, notre Candide d'aujourd’hui est homo, tente d'acheter une mère porteuse pour offrir à son Hugues chéri le bébé dont il rêve, voyage énor­mément d'Acapulco au Râjasthân, mais juste pour compléter l'album photo... Après tout, les asperges à la flamande suffisent à lui offrir le Nirvana.

Heureusement, j'avais commencé par Les béatitudes : 93 pages de leçon d'opti­misme à tout crin, ça vous requinque fu­rieusement. C'est avec grand appétit, donc, que j'ai abordé les 286 pages de l'autre livre Le geste d'achat. Le début semble du même (excellent) tonneau : « (...) nous sommes en train de passer d'une société de consommation à une société d'achat, une société dont les su­jets ne devraient plus jamais s'inter­rompre d'acheter. » Bref, plus question de jouir des objets que vous venez d'ac­quérir, ça vous empêche d'acheter le sui­vant dans les délais que souhaite la so­ciété d'achat ! Vous imaginez déjà dans quel voyage Liberski va vous entraîner. « Acheter, acheter infiniment, libéré du souci vulgaire de consommer, voilà ce qui sera la victoire grandiose de l'hyper-modernité sur l'encombrement et l'in­utilité des choses. » Bien. On imagine une sociologie appliquée qui débusque cette hypermodernité. Des fictions qui virevoltent dans les catalogues de vente ou sur internet. Et si on mettait le geste d'achat aux enchères sue E-Bay ? Bof. L'avant-propos se dégonfle et nous aver­tit sur le contenu réel du livre : « Celui-ci se présente comme un recueil de textes très divers, non-formatés, sans lien apparent et dont certains ont déjà plu­sieurs années de barrique. » Bref, on s'est fait avoir. On a acheté de la poudre aux yeux. Il y a de vieilles chroniques, des textes sur l'art, de petits essais, des nou­velles. Certaines choses ne sont pas mal du tout (des nouvelles, des réflexions... valent la lecture) si elles n'étaient pas court-circuitées par cette idée peu judi­cieuse de rassembler autant de formes diverses sous un même titre un peu trop accrocheur, qui ne correspond vraiment qu'à l'avant-propos. Etrange démarche, n'est-il pas ? Est-ce parce que Liberski a besoin de sous ? Est-ce parce qu'il veut remettre en perspective ses Béatitudes ? Est-ce parce qu'il a peur que nous ne connaissions pas ses œuvres complètes ? Est-ce pour vérifier que le geste d'achat dépend uniquement du battage média­tique et non du contenu du livre ? Ciel, quelle perversité !

Nicole Widart