pdl

Critiques de livres


Xavier DEUTSCH
Les bernaches cravant
Le Cri
1999
159 p.

Escale en Carélie

Quelle que soit sa date de naissance, le  thème astral de Xavier Deutsch doit être : Jack London ascendant Rim­baud. Du premier, il a le goût de l'errance, du vagabondage ou des voyages, voire d'une cartographie de l'âme ; du second, il a hérité de ce souci pour les troubles amoureux, sé­rieux ou non, de ceux qui ont dix-sept ans. Pour mieux dire, il y a chez Deutsch, tout à la fois ce sentiment du « vaste monde » qu'on trouve dans les contes de fées, ce désir de voyageur, d'explorateur qui traverse les fron­tières ou les périls et cette évidence que chaque individu recèle un monde plus vaste encore mais dont les territoires sont parfois obscurs.

Les bernaches cravant vivent en Sibérie ; à l'approche de l'hiver, elles émigrent, font es­cale en Carélie puis viennent se poser dans ce pays « la main dans la mer » où vivent trois princesses qui chacune ont dix-sept ans. On disait, pour faire simple et pour expliquer le climat tourmenté en novembre, que c'était en Bretagne. Quant aux princesses, l'une consomme, l'autre milite et la troisième expé­rimente et vit. On verra d'ailleurs, dans le dé­roulement du récit, qu'elles ne font pas toutes, malheureusement, preuve de noblesse. Mais que font les princesses en novembre, à dix-sept ans ? Elles chahutent ou brossent les cours, s'insurgent contre l'ordre établi mais surtout elles s'inquiètent d'elles-mêmes et de ce que pensent les garçons. Au point de se mettre à rédiger un improbable « dictionnaire bilingue garçons-filles » qui donnerait à cha­cun(e) les clés de l'émotion de l'autre. C'est que le désir est à l'œuvre mais qu'il n'a pas toujours un sens ou une direction... Ou qu'il s'emballe parfois trop vite dans la voie de l'ordre contesté peu auparavant.

La meilleure illustration en viendra avec la quatrième princesse. Elle est en détresse et pourtant toute en tendresse, elle qui ne ré­clame, avec les maladresses de son âge, que la liberté d'être et son envie d'être aimée. En tout donc, quatre portraits, et quelques beaux personnages secondaires. Quatre choix de vie, quatre réponses aux mêmes tourments, au même endroit. Une petite ville du bord de mer où tantôt la lumière est bleue et tantôt la tempête frappe, où les bernaches cravant hivernent. Je ne le cache pas : Deutsch me fascine. A plus d'un titre. Il écrit avec une déconcer­tante facilité mais, emporté par ce flux, on ne perçoit pas toujours sa redoutable effica­cité. Il décrit un univers saisi avec juste ce qu'il faut de distance et d'empathie et sa tendresse est infinie, dans les moments durs comme dans les instants doux. A chaque page, on se surprend à vouloir aimer ou consoler, à moins qu'on ne désire partager un fou-rire. Car Deutsch, s'il peut être (très) drôle, a surtout ce sens de la formule ame­née en douceur mais qui fait mouche dans le contexte, sans avoir l'air d'y toucher. Il y a ainsi, tout au long de ce roman, une ma­nière de donner la météo ou d'exprimer la lumière qui mériterait une longue étude. J'avoue, dans cette lumière, j'ai toujours adoré les histoires de princesses.

Jack Keguenne