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Critiques de livres


André STAS
Les cent nouvelles pas neuves. Lectures paniques
éditions Galopin
2004
108 p.

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On connaît André Stas pour ses collages d'images. On le connaît moins pour ses collages de textes. Et pourtant. Les cent nouvelles pas neuves proposent au lecteur des compressions d'œuvres, célèbres ou moins, classiques ou modernes, de Dante à Topor, de Camille Flammarion à Jean-Bernard Pouy, de Maurice Leblanc à Anonyme... D'autres s'étaient déjà essayé à des exercices de ce genre, ne conservant d'un texte de plu­sieurs centaines de pages que la première et la dernière phrases, voire les premiers et les derniers mots. La méthode du professeur Stas est quelque peu différente. Romans, essais ou autobiographies, le principe est le même : il s'agit, nous explique-t-il, « d'em­poigner n'importe quel livre, de l'ouvrir au hasard, de lire la première phrase qui nous tombe sous les yeux et de recommencer l'opération une dizaine de fois — pas plus, pas moins ».

L'effet est étonnant, et presque imman­quable. La « nouvelle » en dix phrases ainsi obtenue a (presque) toutes les appa­rences d'un texte normal. Certes, on est averti d'emblée du procédé, on sait que l'on a affaire à un texte truqué. Certes, en le lisant, on se rend bien compte que « quelque chose cloche ». Pourtant, on ne peut s'empêcher d'y chercher du sens, mieux : d'en trouver. C'est que nous n'ai­mons pas lire pour rien. La lecture exige de nous un effort, dont nous attendons la juste récompense. Sous leur apparence lu­dique, ces « nouvelles » en disent long sur le fonctionnement de l'esprit humain, sa propension à chercher partout de la cohé­rence, et à en fabriquer s'il n'en trouve pas, pourvu que l'objet proposé ait les ap­parences d'une totalité ou d'une conti­nuité. Aussi, bien que conscients de l'artifice, nous nous efforçons de combler les lacunes, nous nous évertuons à trouver une unité à ces membres épars. Nous nous surprenons même à reprendre tel passage, persuadés que nous ne l'avons pas bien lu, que quelque chose nous y a échappé. Avant de nous rendre à l'évi­dence : non, rien ne nous a échappé, c'est le texte qui s'est rendu insaisissable. Cir­culez, il n'y a rien à voir... Voire. Parfois les textes débouchent sur un rire franc (ce qui, on l'admettra, n'est déjà pas rien) : c'est le cas en particulier de ceux qui se terminent par une phrase lapidaire, sans rapport direct avec ce qui précède, ou induisant l'amorce d'un dé­veloppement imprévu. Dans d'autres, par contre, le rire se teinte de perplexité, d'un sentiment d'irréalité, d'un frisson de vertige comme on peut en éprouver sur certaines attractions foraines (on a beau savoir que ce n'est qu'un jeu, le vertige lui n'en est pas moins réel). Ce que traduit bien la notion à double en­tente de « lectures paniques », portée en sous-titre du livre.

Mais plutôt que ces tortueuses spécula­tions, André Stas préfère, dans son « Avant-lire », trouver au jeu de son invention une justification pragmatique : « Face à la surabondance des "nouveau­tés" qui paraissent chaque mois, com­ment savoir ce qui pourrait nous plaire, sinon en s'appliquant, dans les librairies mêmes, à cet affriolant petit jeu ? Le plus souvent, lorsque aucune phrase parmi celles pêchées au petit bonheur ne nous semble intéressante, le bouquin lui-même ne nous apportera rien — l'inverse étant également vrai, en saine « Pataphysique... Ça va vite et ça permet de réaliser quelques économies (la passion de la lec­ture ayant fâcheusement tendance à gre­ver notre budget). » Est-ce à dire pour autant que l'exercice est à la portée de tout le monde ? Rien n'est moins sûr. Car pour arriver à obtenir pareil résultat (que l'auteur assure avoir obtenu en trois nuits de travail, en quoi nous le croyons volon­tiers), il y faut quand même quelques ap­titudes particulières. Une intuition assez sûre pour repérer au vol les bonnes phrases, et une pratique assidue du col­lage sans laquelle ces textes, tout en déra­pages semi-contrôles, en conjonctions perverses, en collisions et en collusions, n'arriveraient pas à produire l'effet de trompe-l'œil qui en fait le charme1.

Daniel Arnaut

1. Le sympathique éditeur spadois Galopin pu­blie simultanément, du même auteur, un autre livre intitulé 24 heures dûment. Passe-temps livresque, collage (là aussi) d'extraits de romans policiers où figure une indication horaire, de zéro heure à minuit...