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Critiques de livres


Pascale FONTENEAU
Les Damnés de l'artère
Éditions Baleine
Le Poulpe
1996
154 p.

Les Damnés de l'artère : à savourer debout (en bout)

Les amateurs de la littérature noire (bien plus « bandante » que la blanche) avaient depuis belle lurette su apprécier Jean-Bernard Pouy, lorsque parut sous sa plurne, en septembre 1995, La petite écuyère a cafté, le premier titre d'une toute neuve maison d'édition dont le nom, tout comme l'ébouriffant titre de ce roman, semblait vouloir prêter à rire : Baleine. On y découvrait, non sans plaisir, un person­nage « libre, curieux, contemporain, qui aura quarante ans en l'an 2000 », Gabriel Lecouvreur, dont les bras particulièrement longs lui valurent son surnom : Le Poulpe. « C'est quelqu'un qui va fouiller, à son compte, dans les failles et les désordres ap­parents du quotidien. Quelqu'un qui "dé­marre" toujours de ces petits faits divers qui expriment, à tout instant, la maladie de notre monde. Ce n'est ni un vengeur, ni le représentant d'une loi ou d'une morale, c'est un enquêteur un peu plus libertaire que d'habitude, c'est surtout un témoin. » Ainsi nous le présentait-on succinctement. Ce que l'on ignorait encore, c'est que Pouy, après avoir lancé la série, allait se montrer aimablement « partageur » et passer la main à ses petits camarades du roman noir (Quadruppani, Raynal, Simsolo, Daeninckx, Prudon, etc.), qui furent invités (à raison d'un (seul) titre par auteur) à racon­ter les aventures du personnage, respectant des contraintes consignées dans une « bible » d'une dizaine de pages, qui leur était remise d'entrée de jeu. À ces quelques che­vronnés s'adjoignirent bientôt tout un lot de « nouveaux » auteurs, auxquels était ainsi donnée l'occasion rêvée de faire leurs premières armes dans cette littérature dite « populaire ». Et populaire il le devint quasi instantanément, ce Poulpe (à la ma­nière des « pulp » fictions d'Outre-Atlan­tique, auxquels ces bouquins vite et facile­ment lus faisaient un clin d'œil), à croire qu'il venait à son heure et qu'on n'attendait que lui pour chambouler le petit monde du polar français. Chaque titre (vingt-cinq en novembre 96, et toujours un jeu de mot dans le genre « stupide » : Nazis dans le métro, Arrêtez le carrelage. Un travelo nommé désir, J'irai faire Kafka sur vos tombes...) « s'arrache » littéralement et les tirages oscillent entre 15 et 25 000 exem­plaires ! Comme ces romans, engagés plus qu'il n'y paraît, sont pour la plupart autant de petites machines de guerre littéraires contre Jean-Marie Lumpen et ses sbires, on ne s'étonnera pas qu'ils ont été, entre autres livres, déclarés interdits de séjour dans la Bibliothèque municipale de la triste ville d'Orange !

Les passionnés de la littérature noire (bien moins « chiante » que la blanche) n'avaient pas raté non plus les trois excellentes contri­butions de la Hannutoise Pascale Fonteneau à la célèbre Série Noire. On la traduit même en japonais, c'est dire ! Ne peut que nous être agréable que ce soit celle-ci qui, parmi les premières (avec Sylvie Granotier), ait pris l'initiative de donner une nécessaire consis­tance au personnage féminin récurrent dans les aventures du Poulpe (la pulpeuse Chefyl, son égérie (de me voir si belle en ce miroir), coiffeuse de son état). Jusqu'ici, sa passion pour le rosé ne plaidait pas sa cause et son amour des peluches la cantonnait greluche. Comme raillait Tonton Georges, « pour l'amour, on ne demande pas aux filles d'avoir inventé la poudre », perhaps, mais Gabriel, qui n'a pourtant rien d'un pédé­raste, l'aime (aussi) parce qu'elle est intelli­gente : pas godiche la potiche, pas conne la luronne, c'est ce que ces dames de plume vont s'appliquer, et avec brio, à nous démontrer. On ne raconte évidemment pas l'intrigue d'un polar. Tout au plus peut-on donner quelque envie de le dévorer, en train, en tram ou en bus (quand on conduit, ce n'est guère à conseiller, quoique..., avec tous ces bouchons). Le sage séjour de la belle dans notre capitale (pour un séminaire de coiffure) va se muer en une tumultueuse escapade, qui la conduira à vouloir résoudre l'énigme posée par l'assassinat d'un de ses confrères Figaro, odieusement perpétré dans le métro Schuman. C'est autour (et même dans) le lugubre Berlaymont, déserté pour raison de désamiantage et bâché comme par Christo, que se tapit la clé du mystère. Un sauvage Abbé, pour le moins « folklorique » (père rédemptoriste de la résurrection de la Vierge), a l'intime conviction qu'une confrérie du Mal est responsable de tout, et même du reste, à savoir le saccage éhonté de ce quartier de Bruxelles (où séjourna jadis Victor Serge, dont les principes anarchistes rythment les épisodes de l'action). À co­pieux coups d'encensoirs, il daignera appor­ter son soutien à la téméraire enquêtrice, armée de ses seuls petits ciseaux, ainsi que quelques truculents squatteurs, « pas tibulaires (mais presque) »... Les détracteurs comme les thuriféraires de la littérature noire (qui vaut foutrement mieux qu'une moitié de la blanche) trouve­ront sans doute que ce livre, aussi vite écrit qu'il n'est vite lu, a moins permis à Pascale Fonteneau d'y faire la preuve éclatante, comme dans les précédents, de son réel ta­lent d'écrivain (les deux merveilleuses nou­velles « Les douze limites du bonheur », pu­bliée dans Frontière belge, et « La Règle de trois », parue dans le n° 40 de C4, de­vraient les rassurer). Qu'il me soit permis de plaider ici sa cause, en signalant genti­ment à tous les culs gercés qu'elle n'a aucu­nement failli à la loi de la série, qui ne se pique pas outre mesure de prétention litté­raire, mais se propose comme de la littéra­ture « de distraction », accessible à tous, et bien moins idiote, en définitive, que ce qu'il était loisible jusqu'ici au « peuple » lisant de trouver dans les gares.

André Stas

Pascale FONTENEAU, « La Règle de trois », in C4, « le mensuel par des goorgoorlous » n° 40, nov. 1996

Pascale FONTENEAU,  Nouvelles : « Les douze limites du bon­heur », in Frontière belge, éditions de l'Aube, 1996, 144 p .